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Bach – Suites Françaises

C’est un enregistrement singulier puisqu’il réunit une viole de gambe et un clavecin sur ces suites françaises de Jean-Sébastien Bach, n° 1,2 et 5 (BWV 812, 813 et 816).

Cette transcription d’un répertoire centré sur le clavecin constitue en quelque sorte une prolongation des trois sonates BWV 1027, 1028 et 1029.

L’introduction d’une seconde voix comme la viole semblait plausible pour ce répertoire des Suites Françaises. Mais encore fallait-il partir de cet instrument comme figure centrale et essayer de redéfinir la place du clavecin autour de la mélodie distillée par la viole de gambe.

J’avoue adorer ce type d’initiative, le fait de rendre hommage tout en désacralisant ce qui ne devrait pas l’être pour la grande majorité, la musique de Bach.

Il faut en effet laisser ses habitudes d’écoute au vestiaire, comme si on écoutait ces œuvres pour la première fois, faire fi des conventions, et se concentrer sur l’instant présent.

J’avoue que j’aurais sans doute tenté dans cette aventure de m’éloigner davantage du tempo naturel attribué au clavecin. Cela aurait peut-être amené une meilleure homogénéité contrapuntique, la viole de gambe étant faite à mon avis pour des tempi plus lents.

J’ai eu d’ailleurs l’impression que parfois c’était le clavecin qui ne ralentissait peut-être pas assez.

C’est d’ailleurs une jolie prouesse technique pour Agnès Boissonnot-Guilbault de suivre ce tempo rapide.

Puisque j’en suis au stade des compliments, je félicite également le preneur de son qui a réussi à obtenir une balance très homogène entre les deux instruments, ce qui ne me semble pas forcément évident de prime abord. Il n’y a pas non plus d’excès de réverbération (comme on peut trop souvent l’entendre sur de nombreux enregistrements de musique baroque), ce qui est aussi un bon point pour conserver un juste niveau de précision tonale et spatiale.

La Suite en sol majeur n°5 devient, grâce à la tessiture de la viole de gambe, encore plus chantante.

Le fait de jouer à trois voix (mains droite et main gauche de la claveciniste, viole de gambe) améliore beaucoup l’intelligibilité et permet ainsi de conserver ce tempo rapide. 

L’osmose rythmique dans la Gavotte est remarquable, et la polyphonie est particulièrement séduisante.

La Bourrée peut en revanche sembler un peu trop rapide, et la Gigue est jouée uniquement au clavecin. On peut imaginer qu’insérer la viole dans cette ultime partie représentait un défi technique quasi insurmontable. Mais c’est aussi sans doute une façon de ressentir combien le chant de la viole de gambe vient à nous manquer… 

La Suite en do mineur de Marin Marais est un élégant interlude. Elle met en lumière la viole de gambe et son côté langoureux. L’ambiance est aussi bien plus théâtrale. Et c’est totalement cette sonorité plantureuse de la viole de gambe que nous retrouvons dans la Suite en do mineur n°2 BWV 813. La tessiture de la viole est plus sombre, plus grave. Pourtant, je n’ai pas trouvé que l’équilibre général en pâtissait pour autant.

La Sarabande est magnifique, même si elle pourrait être encore plus lente. Peut-être que ce tempo assez rapide évite de tomber dans le piège d’une interprétation trop théâtrale et narcissique…

On paie néanmoins cette rapidité dans l’Air qui semble parfois faire jouer les deux instruments de façon trop séparée, amenant une moindre homogénéité.

On retrouve néanmoins une parfaite fusion instrumentale et rythmique dans le Menuet et la Gigue.

Dernier intermède musical, le Prélude de la Suite en ré mineur de Louis de Caix d’Herveloix (élève de Marin Marais) nous prépare à la tonalité de la dernière suite de cet album, celle en ré mineur BWV 812.

C’est à mon avis celle qui se prêtait le plus facilement à cette polyphonie viole – clavecin. On oublie dans l’Allemande le tempo, et seul le contrepoint régule le jeu des deux protagonistes. Ce fut en ce qui me concerne une totale redécouverte de cette Suite française n°1 de Jean-Sébastien Bach. 

La courante force le pas bien évidemment, presqu’à la limite de la rupture contrapuntique. Mais c’est pour mieux mettre en valeur cette Sarabande, très pleine, faisant jouer les deux instruments quasiment à l’unisson. Là encore, la prise de son est excellente et permet de capturer cette admirable polyphonie. 

Le premier menuet suivant est uniquement joué au clavecin. Le second, miroir, met la viole de gamme en lumière avec un accompagnement du clavecin d’une sobre élégance. 

La Gigue finale est une sorte d’apothéose baroque et contrapuntique. Un pur bonheur auditif…

En résumé, si je dois tenir compte de la quantité de travail de réécriture, de l’originalité, de la prise de risque, et du superbe jeu des deux instrumentistes, il m’est difficile de ne pas leur attribuer un Grand Frisson. Et puis n’est-ce pas tout simplement formidable de prolonger l’esprit de cette musique en lui ouvrant de nouvelles perspectives ? Un grand bravo à Mesdames Boissonnot-Guilbault et Dargazanli pour cette magnifique contribution.

  • Titre : Bach – Suites Françaises.
  • Artistes : Agnès Boissonnot-Guilbault (viole de gambe), Nora Dargazanli (clavecin).
  • Format: PCM 24 bit – 96 kHz.
  • Ingénieur du son: Augustin Lusson.
  • Editeur/Label: Bathos Records.
  • Année: 2023
  • Genre: Classique.
  • Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Réel.

Bach – Suites Françaises 2