S’il n’y avait pas de choix particulièrement radical dans sa précédente intégrale des symphonies de Beethoven, il n’y en a pas non plus dans ce nouveau cycle de philippe Jordan, sauf que cette fidélité à la partition est peut-être cette fois-ci plus singulière, car les symphonies de Brahms sont sans nul doute plus sujettes aux variations d’intentions ou de lecture.
Brahms lui-même faisait en son temps référence au carcan que peut être la musique de Beethoven en écrivant « Vous ne savez pas quelles sensations nous, les compositeurs, nous éprouvons lorsque nous entendons derrière nous les lourds pas d’un géant comme Beethoven ».
On pourrait cependant trouver une légitimité à ce qu’une phalange Viennoise enregistrant dans la Goldener Saal du Musikverein reste très proche de l’esprit du répertoire brahmsien. Pour la référence historique, c’est dans ces lieux que furent jouées la première fois la seconde et la troisième symphonies de Brahms. Mais la familiarité du répertoire n’explique pas forcément cette retenue, cette farouche détermination de ne pas céder aux sirènes d’un romantisme débridé. Il y a donc plus qu’une vision chez Philippe Jordan, je dirais une volonté inébranlable de respecter scrupuleusement un cheminement, dont certains passages seront sans doute plus austères en comparaison d’autres, plus flamboyants.
Mais de ces contrastes nait de toute évidence une meilleure clarté, une plus grande intimité à la musique de Johannes Brahms. Il y a ainsi une forme de progression, même dans l’exécution des 4 symphonies, la qualité d’interprétation allant crescendo.
Si le début de la première symphonie est à mes oreilles trop austère, l’interprétation de son troisième mouvement change radicalement l’atmosphère et redonne une perspective nouvelle à l’ensemble de l’œuvre. On se rend compte que tout a été mûrement et progressivement construit, sans céder à la facilité et aux effets de manche. Brahms et rien que Brahms. On apprécie alors d’autant plus la générosité des deux derniers mouvements. La première symphonie constitue d’ailleurs presque un tour de chauffe, car les suivantes offrent une envolée lyrique et davantage d’émotions. Mais en même temps, Jordan conserve un formidable contrôle des Wiener Symphoniker, pour rester au plus proche de la partition.
Les élans sont savamment dosés comme si le chef s’opposait à toute forme d’exagération, de surenchère romantique. C’est donc dans le raffinement que s’inscrit cette interprétation de la seconde symphonie. La troisième, bien qu’elle peine légèrement à aller de l’avant, offre un superbe troisième mouvement qui, à l’instar de celui de la première symphonie, transfigure l’œuvre et la performance orchestrale, toujours sans épanchement excessif. Peu de pathos non plus dans le final mais une variété de timbres et une respiration qui en font un moment magique. Là encore, on ressent une forme d’intimité rare avec l’écriture de Johannes Brahms. C’est là la très grande qualité de cet enregistrement dont la prise de son aurait peut-être gagné à faire ressortir davantage de proximité par rapport aux différents pupitres.
Elle nous offre une perspective plus globale, et donc moins ébouriffante également. Le « Poco allegretto » de la troisième met en évidence toute le potentiel de la formation viennoise à délivrer cette sensibilité, ces vibratos sensuels et légers de la musique brahmsienne. L’exquise douceur du chant des instruments à vent, le soyeux des cordes, tout participe à la célébration du passage le plus populaire de ces symphonies, et ce, sans excès de rubato. Jordan garde le contrôle tout au long de l’œuvre, et l’ Allegro final donne presque l’impression d’être conduit par Karajan. L’adhésion de l’orchestre semble définitivement acquise.
La quatrième symphonie ne laisse entrevoir aucune faille, ni doute. La tension et la sensualité du premier mouvement sont tout de suite palpable. Encore une fois, on aurait aimé une prise de son nous rapprochant de l’orchestre. Il est un peu loin, on se trouve pour ainsi dire au premier balcon de la salle Pleyel, si cela va peut donner une indication à certains nostalgiques de la précédente domiciliation de l’orchestre de Paris. Les troisième et quatrième mouvements regorgent de sensualité et d’émotion tout en restant dans une perspective très proche et très lisible de la passacaille reprenant le motif de la cantate de Bach BWV 150 de Bach. C’est une vision certes intérieure, à la fois lyrique et spirituelle que livrent ainsi les Wiener Symphoniker. Une intégrale qui comptera pour son homogénéité, ses couleurs et son élégance. Un travail qui s’apprécie davantage à chaque nouvelle écoute. Bien vu Mr Jordan !
- Titre: Brahms Symphonies
- Artistes: Philippe Jordan, Wiener Symphoniker.
- Format: PCM 16 bit, 44,1 kHz
- Ingénieur du son : Georg Burdicek
- Editeur/Label: Sony Music
- Année: 2020
- Genre: Classique
- Intérêt du format HD : Format CD uniquement.