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Camille Saint-Saëns : Duos pour piano et cordes.

Cette intégrale de duos pour piano et cordes de Camille Saint-Saëns publiée par le label Ad Vitam fait écho au centenaire de sa mort et s’attache à mettre en lumière un répertoire chambriste, moins populaire peut-être que le reste de son œuvre. C’est donc un triple album que nous propose Ad Vitam records, regroupant l’ensemble Le Déluge et l’insatiable Laurent Wagschal, qui entreprend un marathon pianistique de 21 duos avec violon et violoncelle.

Au violoncelle, on retrouve l’excellente Pauline Bartissol, et au violon le trio Ayako Tanaka, Sébastien Surel, Pierre Fouchenneret.

Cette musique de chambre est particulièrement exigeante d’un point de vue technique. Cette intégrale a d’emblée le mérite de nous faire prendre conscience de la complexité des compositions de Camille Saint-Saëns, et de la sensibilité ainsi que du romantisme dont elles regorgent.

D’entrée de jeu, avec la 1ère sonate en ut mineur opus 32 pour piano et violoncelle, puis la 1ère sonate en ré mineur opus 75 pour piano et violon, les duettistes font preuve d’une énergie particulièrement convaincante. Le violoncelle et le piano semblent se relancer constamment l’un l’autre. Idem avec le violon d’Ayako Tanaka.

Ce ne sont sans doute pas les sonates les mieux enregistrées, ni les plus spectaculaires, mais on y trouve un feu intérieur qui semble perdurer tout au long de cette intégrale, et qui donne cette vitalité et ce rythme si important dans la musique de chambre. 

Dans le troisième mouvement Allegro moderato de la 1ère sonate pour piano et violoncelle, on apprécie le chant et l’équilibre qu’apportent les interprètes. On évite ici à coup sûr la caricature des mouvements d’archet trop appuyés, et également celle d’un phrasé au piano trop mécanique noyant la ligne mélodique du violoncelle.

Au même titre, la 1ère sonate pour piano et violon présente ce bel équilibre. Même si techniquement au violon, on est loin du monument que représente Jascha Heifetz dans son enregistrement avec Emanuel Bay, la part dédiée au piano de Wagschal est bien plus importante que celle attribuée à l’accompagnateur russe.

Et puis, il y a cette impression de sans cesse progresser et aller de l’avant, on sent que les duettistes veulent nous emmener quelque part.

La fameuse romance en fa majeur opus 36 interprétée en duo se libère de la relative pesanteur d’un accompagnement orchestral, pour s’installer dans une dimension plus schubertienne.

Le « sarabande et rigaudon » opus 93 est joué sur un tempo particulièrement lent, invitant pour moi davantage au recueillement qu’à la danse. Je leur préfère néanmoins la version assez récente et plus chantante du tandem Clamagirand / Cohen parue chez Naxos en 2013.

Difficile exercice de limiter le prélude du Déluge au seuls piano et violon. Cette transcription donne aussi une vision assez différente de la version orchestrale, et de celle pour orgue.

Je ne connaissais pas cette adaptation et j’avoue avoir été agréablement surpris par l’éloquence et la dramaturgie qui ressortent du violon de Pierre Fouchenneret dans l’Adagio, autant que par son lyrisme et son vibrato dans l’Andantino.

C’est Pierre Fouchenneret qui poursuit sur sa lancée avec la deuxième sonate pour piano et violon en mi bémol majeur opus 102.

On retrouve cette fusion entre violon et piano déjà appréciée sur la première sonate. C’est tout l’intérêt de cette interprétation et du travail de Laurent Wagschal. Le violon star ne vient pas ici occuper tout le devant de la scène, et le piano insuffle l’élan vital qui permet au duo d’aller de l’avant de bien charmante façon.

C’est pour moi la version de l’équilibre. Sur le scherzo vivace, les deux instruments jouent à l’unisson, comme si le chant de cette sonate les portait vers une seule et unique direction. L’interprétation pleine de légèreté et d’entrain de Laurent Wagschal est une pure merveille.

Après une berceuse pour violon, une romance puis un chant saphique pour violoncelle, et une élégie pour violon, la seconde sonate pour piano et violoncelle en la majeur opus 123 nous est servie avec une extrême délicatesse et un parfait contrôle. Autant j’ai pu apprécier la récente performance de Christian Poltera et Kathryn Stott parue en 2009 pour le label Chandos, dans une captation un peu plus lointaine et réverbérée, autant j’apprécie la progressivité du couple Wagschal Bartissol dans le Maestoso Largamente. Et puis il y a aussi cette sonorité pleine du violoncelle qui s’apparente vraiment à la voix humaine, un son indéniablement plus chaleureux.

Le Scherzo con variazioni est beaucoup plus nerveux ici que sur l’album Chandos, avec un échange bien plus intense, concertant et tourbillonnant. 

La Romance du troisième mouvement concède en revanche la victoire à Christian Poltera, dont la sensibilité et le vibrato représentent toujours à mes oreilles un véritable enchantement. 

Le dernier mouvement, Allegro non troppo, reste certainement plus équilibré sur cet enregistrement d’Ad Vitam Records et ne manque pas d’entrain, avec une sonorité très organique du violoncelle, ce qui fait au global de cette sonate une belle réussite. On aurait juste aimé une romance plus vibrante et inspirée.

Suit une troisième sonate pour piano et violoncelle et un andante sostenuto d’une grande délicatesse, empli de poésie et évitant tous les pièges d’un maniérisme ou d’un épanchement excessif.

Le troisième et dernier disque de cette intégrale abrite deux petits joyaux, le triptyque pour violon et piano opus 136, mettant en scène Sébastien Surel, et la Suite pour violoncelle et piano opus 16.

Il y a beaucoup de respiration dans le triptyque qui démarre selon moi avec le juste tempo, sans donner l’impression de vouloir aller trop vite, et qui permet ainsi de renforcer le lyrisme du violon, tout en installant une belle complicité entre les deux interprètes. L’accompagnement de Laurent Wagschal se veut à la fois sobre et élégant.

En comparaison, l’enregistrement de CPO réunissant Ulf Wallin et Roland Pöntinen, bien que particulièrement bien enregistré, ne délivre pas la même puissance émotionnelle, ni la même interaction entre violon et piano.

Enfin, la Suite pour violoncelle et piano opus 16 est une adaptation de l’original pour violoncelle et orchestre. Je trouve que la transcription pour piano fait inéluctablement perdre de la force à cette composition et l’équilibre entre soliste et accompagnateur n’est pas forcément toujours présent. Il manque clairement dans le prélude, mais est en revanche quasi parfait dans la Sérénade.

La Romance quant à elle, et sans son orchestre, devient un peu moins romantique, mais pas tant que ça… il en ressort un magnifique équilibre, une éloquence et une mise en valeur du jeu tout en nuances de Pauline Bartissol. Et que dire du bouillonnant final ?une pure merveille !

Mais s’il faut pour conclure rendre à César ses lauriers, on reconnaîtra que c’est Laurent Wagschal qui fait office de véritable colonne vertébrale à cette très recommandable intégrale, servie de surcroît par des interprètes de grande classe. C’est lui qui amène cette articulation, ce chant et cette pulsation qui font qu’on voyage d’un bout à l’autre de ce petit marathon musical de 3 heures et 30 minutes sans voir le temps passer.

Plus que recommandable, je dirais indispensable !

  • Titre: Camille Saint-Saëns : Duos pour piano et cordes.
  • Artistes: Laurent Wagschal (piano), Pauline Bartissol (violoncelle), Pierre Fouchenneret (violon), Sébastien Surel (violon), Ayako Tanaka (violon).
  • Format: PCM 16 bit, 44,1 kHz
  • Ingénieur du son : Julien Reynaud.
  • Editeur/Label: Ad Vitam Records.
  • Année: 2021
  • Genre: Classique
  • Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Format CD uniquement.
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