A l’occasion des deux-cents ans de la naissance de César Franck, l’Ensemble Des Equilibres célèbre son anniversaire en nous proposant l’intégrale de sa musique de chambre.
Il rend ainsi hommage à l’une des très grandes figures de la musique française de la seconde moitié du XIXème siècle. Entre spiritualité et éloquence, son œuvre est tout à la fois, novatrice, originale, charmeuse et puissamment évocatrice.
C’est sans doute d’ailleurs un des compositeurs que je n’arrête jamais de redécouvrir, quand bien même le répertoire pour orgue ne m’a jamais beaucoup inspiré.
Mais César Franck a composé de telles pépites en dehors du monde de l’orgue que leur beauté me touche chaque jour un peu plus. Et les œuvres de musique de chambre en font clairement partie…
Réaliser une intégrale de cette musique est sans aucun doute une tâche exigeante, notamment du fait qu’une partie de ces œuvres ne fut pas complètement éditée et ainsi pas vraiment documentée. C’est donc un travail colossal de recherche auquel s’est livrée, entre autres, Agnès Pyka, chef de file de cet ensemble regroupant la brillante Sandra Chamoux au piano, Damien Ventula et Jeremy Genet au violoncelle, Rémi Demangeon à la contrebasse, l’altiste Emmanuel Haratyk, ainsi que les deux violonistes Marie Orenga et (bien évidemment) Agnès Pyka elle-même.
Le quintette en fa mineur pour piano et cordes ouvre cette intégrale. Œuvre tardive controversée, dédiée au piano de Saint-Saëns aux côtés du quatuor Marsick, elle est même allée jusqu’à provoquer le courroux de Franz Liszt qui ne comprit pas la nécessité de mettre autant de passion et de déchirement dans une œuvre de musique de chambre.
Et pourtant ce quintette préfigurait déjà les fondements de la musique moderne…
Mais cette éloquence se reflète également dans les œuvres de jeunesse, à l’instar du Grand Trio pour piano, violon et violoncelle en ut mineur, composé à l’âge de 12 ans et qui semble rendre hommage à Beethoven et et Schubert. C’est un trio plein d’entrain, en dépit peut-être de quelques maladresses de style, mais globalement d’une maturité impressionnante. Cette œuvre en un seul mouvement illustre déjà en effet la liberté stylistique et l’organisation harmonique du compositeur.
Le Trio pour piano, violon et violoncelle opus 1 n°2 reprend une forme plus conventionnelle avec quatre mouvements plus « cadrés » et fortement inspirés de Beethoven et de Haydn.
Suit le Duo concertant (Sandra Chamoux, piano, Agnès Pyka, violon) sur des motifs de Gulistan de Dalayrac en si bémol majeur qui laisse davantage de place à la douceur et à une certaine osmose entre les deux interprètes.
Le Trio n°1 est plus intéressant selon moi que le n°2. L’Andante con moto nous plonge dans un climat particulièrement triste, mais parvient en même temps à installer une dramaturgie captivante. Puis il se mue progressivement en un univers plus contemplatif en maintenant cette force émotionnelle quasi intacte.
Ces deux thèmes vont alors s’alterner tout au long du cette œuvre dans une diversité structurelle si impressionnante au regard de la précocité de ce premier Trio. L’Allegro Molto fait presque office de scherzo tant la vivacité de ce mouvement nous emporte. Que dire aussi de la puissance du Final – Allegro Maestoso ? J’ai eu la sensation à certains moments d’écouter un concerto pour orchestre tellement la fusion entre les 3 interprètes semble parfaite. Et Agnès Pyka nous envoûte totalement avec son vibrato très serré : un pur bonheur !
Le Trio n°3 en si mineur nous entraîne dans une forme de romantisme tourmenté, dont les contours sont sans cesse changeants. Le plus étonnant est cet Adagio central très chantant, presque martial par moments, et puis la fantaisie s’invite dans le thème pour en faire quelque chose d’unique et complexe, tout en maintenant une emprise très directe sur l’auditeur.
Le mouvement final est tout aussi étrange, et si une cohérence générale est bien perceptible, il est difficile de trouver des repères dans ce foisonnement de propositions.
L’interprétation du Quatuor à cordes en ré majeur est tout aussi convaincante.
La nature profondément romantique de cette œuvre (la dernière pièce pour musique de chambre composée par César Franck) surprend. Le Scherzo du second mouvement est un trésor d’inventivité et de fantaisie. Quand au final, son niveau de vitalité débordante illustre parfaitement l’esthétique sonore particulièrement novatrice du compositeur français.
Histoire d’éviter l’écueil d’une critique musicale trop longue et diluée, j’éviterai de partager mon enthousiasme plus en détail, faisant ainsi injustement l’impasse sur d’autres perles de cette intégrale, à l’instar de la Sonate pour piano et violon en la majeur, et du jeu si sensible de Sandra Chamoux, ou bien encore du Solo de piano avec accompagnement de Quintette à cordes en mi majeur.
Cette intégrale est remarquable, au point d’en être à mon avis indispensable pour toute personne désireuse de découvrir le répertoire de musique de chambre de César Franck, ou pour l’amateur éclairé désireux d’acquérir une version de référence.
Celle-ci mérite assurément le Grand Frisson. Un grand bravo pour ce superbe travail de recherche et d’interprétation, bénéficiant par ailleurs d’une très bonne prise de son !
- Titre: César Franck – Complete Chamber Music.
- Artistes : Ensemble Des Equilibres : Agnès Pyka (violon), Sandra Chamoux (piano), Damien Ventula (violoncelle), Jeremy Genet (violoncelle), Marie Orenga (violon), Emmanuel Haratyk (alto), Rémi Demangeon (contrebasse).
- Format: PCM 16 bit / 44,1 kHz.
- Ingénieur du son: Erwan Boulay.
- Editeur/Label: Klarthe.
- Année: 2023
- Genre: Classique.
- Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): format CD uniquement.