C’est un très beau disque. Jean-Nicolas Diatkine, s’il garde un style très droit, lent, et exempt de fioritures ou d’ornementations trop lourdes, arrive à concilier ici romantisme et élégance, dans un registre un peu moins vertical que ses précédentes prestations.
La programmation est riche puisque le pianiste enregistre la sonate numéro 3 opus 58 et la série complète des Préludes.
Commençons par les impressions relatives à cette troisième sonate.
L’Allegro maestoso nous plonge immédiatement dans un climat très émouvant. Ce n’est pas le plus beau son de piano que l’on peut trouver au disque, il n’y a pas cette fluidité qu’on apprécie tant chez Nelson Freire (enregistrement Decca de 2002), mais il y a néanmoins une forme d’intériorisation qui rend ce premier mouvement si poignant, avec un tempo évidemment bien plus lent que celui adopté par le pianiste brésilien.
Il n’y a pas non plus le feu crépitant de Marta Argerich dans son enregistrement de 1956 réédité chez Warner Classics.
C’est peut-être ce qui fait l’intérêt de cette version, celle de sortir de la norme et de proposer un relief différent, un format permettant de saisir différemment la nature de l’œuvre.
Cela permet également de contraster davantage avec le second mouvement scherzo, joué sur un tempo plus rapide, et donc plus en rupture par rapport aux interprétations de Freire ou Argerich.
Pour faire écho à un enregistrement plus lent, celui de Nelson Goerner pour EMI en 1996, je dirais que Goerner symbolise la finesse et l’élégance tandis que Diatkine est dans la recherche d’une intention, et derrière ça d’une émotion plus sincère.
Le Largo est captivant car il y a chez Diatkine cette pulsation presque contrapuntique à certains moments, alternant avec des passages plus impressionnistes. C’est un peu l’écueil à éviter dans ce troisième mouvement, celui de ne pas trouver de rythme et de s’ennuyer finalement. Au contraire ici, l’interprète nous tient en haleine avec un Largo de toute beauté, moins sombre que celui d’Argerich, et certainement moins plat que celui de Nelson Freire. Jean-Nicolas Diatkine impulse un rythme qui nous emporte entièrement.
Dans le final, difficile de rivaliser avec la maîtresse Argerich, tant le flot musical bouillonnant est intense. Néanmoins, Diatkine délivre une prestation remarquable par sa lisibilité et sa maîtrise.
La puissance de la main gauche contraste avec la célérité de la main droite. L’assise dans le grave donne une impression de grondement qui fonctionne à merveille avec ce dernier mouvement.
En comparaison Goerner et Freire me semblent manquer d’un peu de densité, bien que leur phrasé respectif et leur articulation me paraissent supérieurs.
Bref, c’est la cohérence et l’originalité du jeu de Jean-Nicolas Diatkine qui font l’intérêt de cette interprétation, que j’ai écouté et réécouté avec beaucoup de plaisir.
La série des préludes au disque est souvent inégale ou difficile à suivre de bout en bout.
Celle de Jean-Nicolas Diatkine s’avère néanmoins particulièrement habitée.
Le prélude numéro 6 en si mineur est d’une sensibilité rare.
Le huitième, molto agitato, est d’une densité remarquable. Il faut passer la version d’Alexandre Tharaud pour Harmonia Mundi presque comme une interprétation éthérée.
Cette densité du jeu de Diatkine pourra s’avérer parfois un peu trop mate : c’est clairement le cas du neuvième en mi majeur, où je reviens avec bonheur chez Alexandre Tharaud ou chez Maurizio Pollini (enregistrement DG).
Je trouve Diatkine particulièrement bon sur les mouvements lents, à l’instar du treizième, où les résonances de l’instrument offrent une subtile continuité harmonique comme si une troisième main venait se greffer ici. Le tempo et la pédale permettent de toute évidence de recréer une atmosphère saisissante, mais aussi de renforcer la ligne mélodique. Il y a de la poésie et une forme de modernité dans le jeu du pianiste qui font de cette intégrale des Préludes de Chopin quelque chose à part.
Le quinzième en ré bémol majeur débute avec une délicatesse extrême, et pourtant il a une force chez Diatkine qui porte ce flux musical toujours plus en avant. Cet élan ne semble jamais faiblir et apporte une telle force à l’interprétation qu’on trouve dans chaque prélude un début et une fin tout en décelant une continuité avec le suivant et une place bien identifiée dans cette galaxie musicale.
J’ai adoré dans le seizième, Presto con fuoco, la pulsation de la main gauche qui donne un relief extraordinaire à ce prélude. Ce n’est plus tant une virtuosité basée sur la simple vitesse d’exécution que sur le rythme.
Il y a aussi cette palette de couleur complexe et subtile que je ne soupçonnais pas chez le Stenway D de Jean-Nicolas Diatkine, et qui s’imprime avec plus d’évidence sur les mouvements lents. La prise de son, d’excellente facture, est rapprochée et laisse entrevoir les plus infimes nuances.
Le 25ème, ou Prélude en do mineur opus 45, semble inspirer Diatkine avec ses superbes modulations chromatiques.
Le tempo choisi est plutôt rapide et l’atmosphère particulièrement impressionniste. Il y a encore, et malgré cette structure plus libre que celle des 24 opus 28, une énergie qui vous porte en avant. Jean-Nicolas Diatkine nous embarque avec lui, à l’instar de l’intégralité de ce programme de 72 minutes particulièrement inspirées.
Une franche réussite et un Grand Frisson totalement mérité !
- Titre: Chopin : Sonata N°3 Op.58 & Complete Préludes.
- Artistes : Jean-Nicolas Diatkine (piano).
- Format: PCM 24 bit / 96 kHz.
- Ingénieur du son: Sebastian Riederer von Paar.
- Editeur/Label: Solo Musica.
- Année: 2023
- Genre: Classique.
- Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Réel.