Il s’agit ici d’un double album accompagné d’un DVD paru chez Piano21. Mais c’est avant tout une démonstration impressionnante de la virtuosité d’un pianiste qui ne cesse de m’étonner.
Les transcriptions de l’œuvre de Camille Saint-Saëns pour piano seul requièrent en effet une technique sans faille et une énergie peu commune.
Le programme de ce coffret est d’ailleurs tellement dense que je ne sais pas par où commencer. La boulimie d’enregistrement de Cyprien Katsaris n’a d’égale ici que la beauté des transcriptions présentes au catalogue de l’éditeur Durand…
Commençons peut-être par la prise de son, de très belle facture, et qui nous offre un piano Bechstein D-282 Grand Concert bien matérialisé dans l’espace et d’une grande richesse tonale. C’est un son plein, qui sonne vrai, une très belle réussite technique sans aucun doute, captée par 2 microphones Neumann CMV 563 et un Gefell UM70 omni.
Mais cela n’est pas grand chose comparé au génie de la transcription et de l’arrangement du pianiste parisien. Car il en faut, pour atteindre ce niveau de perfection dans ce travail de réplication homothétique, sorte de version en noir et blanc, de symphonies ou de concerti. Il faut une curiosité d’archéologue, pour aller chercher les partitions oubliées ou méconnues, et la patience et la minutie de l’orfèvre pour les magnifier davantage !
Le Carnaval des Animaux est l’objet d’une transcription de Lucien Garban, légèrement retouchée par Cyprien Katsaris.
Je n’ai vraiment pas eu l’impression de perdre quoi que ce soit concernant l’intensité et la richesse de ces tableaux animaliers, requérant dans leur version originale un effectif de musiciens assez conséquent (à savoir deux pianos, deux violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse, une flûte, une clarinette, un harmonica et un xylophone).
Katsaris semble se jouer en effet de toutes les difficultés techniques de cette redoutable transcription dont la partition intégrale ne fut publiée qu’en 1951. Le jeu de l’interprète franco-chypriote est puissant, engagé, et en même temps d’une extrême fluidité.
La symphonie numéro 3 dédiée par Saint-Saëns à Franz Liszt a été transcrite par le professeur américain Peter Goetschius, puis modifiée par Katsaris pour la rendre encore plus proche de la version orchestrale.
Le dernier mouvement Maestoso Allegro est d’une richesse tonale hallucinante. Comment Katasaris réussit-il cette prouesse avec un seul piano et à deux mains ? Cela relève d’une connaissance très approfondie, quasi intime de cette symphonie, une des plus éloquentes de la musique française avec la Fantastique de Berlioz…
Le Concerto pour piano et orchestre numéro 2 en sol mineur a été transcrit par Georges Bizet. Là encore, Cyprien Katsaris pousse la minutie jusqu’à agrémenter la transcription de Bizet de quelques ajouts afin de faire entendre les parties instrumentales manquantes.
Il en résulte une interprétation plus dense, transférant parfois la distribution originale des deux mains à la seule main droite afin d’enrichir la puissance évocatrice de l’orchestre complet avec la main gauche. C’est une version dense, passionnante à tous égards.
« Africa opus 89 » est une œuvre écrite à l’origine pour un accompagnement orchestral et un clin d’œil aux Rhapsodies hongroises de Franz Liszt. La transcription pour piano seul fut réalisée directement par Saint-Saëns lui-même. Lorsqu’il envoya la transcription à son éditeur Durand, il écrivit avec l’humour qui le caractérisait : «Je vous renvoie Africa avec les corrections que j’ai faites en rouge pour que vous les trouviez plus facilement. Ayant reconnu à l’usage que le morceau ainsi arrangé pour piano seul était terriblement fatiguant, j’ai indiqué une vaste coupure qui permettra aux personnes habiles mais non athlétiques d’exécuter cette horreur, et d’éviter aux autres le désolant spectacle d’un être humain échevelé et en sueur luttant infructueusement contre un piano ».
C’est pourtant la version intégrale, non coupée, qu’interprète Katsaris sur cet album. Et vous savez quoi ? D’une part on ne détecte aucune odeur de transpiration, et c’est à l’écoute très plaisant, même si on est parfois désorienté, voire ébouriffé, par ces changements de rythmes syncopés, ces sonorités variées mélangeant les cultures européennes, orientales et africaines. Sans doute une façon pour le compositeur d’illustrer la diversité issue de ses nombreuses pérégrinations…
Le plus académique Allegro appassionato nous ramène à une composition originellement pensée pour le piano seul. Katsaris développe ici un son d’une ampleur impressionnante. Les accélérations y sont fulgurantes sans que le Maestro ne se défasse de cette extraordinaire fluidité.
La Danse Macabre est tout bonnement une claque magistrate ! Cyprien Katsaris renvoie à leurs chères études tous les bambins qui ont essayé ces dernières années d’en repousser les limites techniques.
Il y a une recherche esthétique chez Katsaris qui fait que cette œuvre ne se limite pas à une démonstration de virtuosité pianistique mais développe pleinement sa dimension fantastique. Un pur régal auditif !
L’Assassinat du Duc de Guise qui vient clore ce double album a une double vocation, celle de conclure cette programmation par une œuvre tardive, ainsi que d’évoquer le côté novateur de Saint-Saëns avec cette première musique de film jamais commandée à un compositeur.
C’est la qu’intervient le DVD de ce coffret, joignant l’image au son, qui gagne alors toute la cohérence qu’on reconnaît généralement à l’accompagnement au piano des films muets.
Cela ne rendra pas Henri III plus sympathique mais donnera du sens à cette dernière œuvre, et un éclairage sur la genèse de la bande son !
Pour conclure, je dirais qu’il existe d’excellents disques, celui-ci en est un assurément, et quelques autres, plus rares, qu’on inscrira sur la petite liste des objets à emporter sur une île déserte.
Cet album appartient également à cette deuxième catégorie. Qu’il s’agisse des limbes du Pacifique ou de l’île de Robinson Crusoé, cette musique pourra être écoutée sans modération les samedis, dimanches, lundis, mardis, mercredis, jeudis et vendredis !
- Titre: Cyprien Katsaris – Saint-Saëns.
- Artiste : Cyprien Katsaris.
- Format: PCM 16 bit, 44,1 kHz.
- Ingénieur du son: Nikolaos Samaltanos.
- Editeur/Label: Piano 21.
- Année: 2021
- Genre: Classique.
- Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Format CD uniquement.