Michele Campanella aborde, dans ce nouvel opus récemment sorti chez Odradek, des rivages bien éloignés de la baie de Naples.
Plus j’écoute ce pianiste italien et plus mon respect grandit à chaque fois pour sa grande culture, sa maturité mais également sa modestie et sa sobriété.
La grande difficulté des Tableaux d’une exposition de Moussorgski, dans leur version originale pour piano, est selon moi de ne pas en rater un seul, et de développer l’autorité nécessaire pour ne pas faire regretter l’absence d’un orchestre complet. c’est un exercice délicat, et Campanella s’interroge, sans doute à juste titre, sur la capacité d’un napolitain à épouser cette culture slave, ou du moins à en restituer la pleine saveur. Est-ce que l’affinité pour ce courant artistique russe suffit à donner toute la légitimité mais aussi le potentiel pour interpréter Moussorgski ou Scriabine ?
Derrière une certaine droiture, se cache une grande sensibilité et un grand raffinement. Campanella ne livre pas un interprétation particulièrement sombre, mais emprunte pourtant d’une grande autorité. Et il vise dans le mille, en ne ratant aucun tableau. Certains sont particulièrement réussis et imagés, à l’instar d’un Gnomus à la démarche superbement chaotique ou d’un vieux Château d’une finesse exquise.
Les timbres ne sont sans doute pas aussi riches ni aussi majestueux que ceux du pianiste croate Ivo Pogorelich dont le toucher dans cet enregistrement DG de 1995 reste une des toutes meilleures prestations contemporaines. Mais il y a une forme de justesse, d’équilibre qui ressort indéniablement de l’enregistrement de Campanella. Les contrastes dynamiques entre les forte et les pianissimi sont exceptionnels. C’est un jeu plein de reliefs, avec une tension qui va crescendo jusqu’au final de la Grande porte de Kiev. C’est une version totalement efficace, celle qui vous connecte directement à une correspondance picturale, sans même avoir à faire un effort d’imagination.
Autre monument du répertoire pianistique, la fameuse sonate en fa dièse mineur de Scriabine, cette fois-ci jouée sur un tempo particulièrement lent, surtout dans le premier mouvement (Drammatico). C’est un peu déstabilisant lorsqu’on a en mémoire la virtuosité d’un Evgeny Kissin chez RCA ou le feu intérieur d’un Samson François chez Erato.
Il n’y a d’ailleurs pas de suite logique ou de continuité entre les deux œuvres, et peut-être l’interprétation du pianiste napolitain mise trop sur l’homogénéité là où personnellement j’en vois moins. On ne retrouve pas cet élan dramatique que distillent à merveille, chacun dans leur style, le Russe et le Français. J’ai trouvé un jeu par trop appuyé, manquant de respiration et de flamboyance.
Moins enregistrée, la valse en la bémol majeur opus 38 d’Alexandre Scriabine voit l’inspiration de Campanella retrouvée. Le jeu se fait plus fin, avec des contrastes rythmiques et des pianissimi plus subtils.
Difficile de porter un jugement purement objectif sur une œuvre composée à la jonction de deux périodes essentielles dans l’œuvre du compositeur, entre romantisme et modernisme. Campanella joue la cinquième valse de façon romantique alors qu’un Grosvenor y apporte davantage de modernité, et de reflets impressionnistes.
Mais l’éclairage plus sobre du Napolitain fonctionne pleinement, et nous donne à entendre une version particulièrement émouvante et sensible.
Au final, les Tableaux restent de toute évidence la pépite de cet album, regorgeant de sincérité et témoignant d’une grande maturité vis-a-vis du répertoire.
- Titre: Dreams and Tales
- Artistes: Michele Campanella (piano).
- Format: PCM 24 bit, 96 kHz
- Ingénieur du son: Daniele Zazza.
- Editeur/Label: Odradek.
- Année: 2021
- Genre: Musique classique.
- Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Réel.