Outre son travail sur George Gershwin et les concerti de Rachmaninov, Earl Wild est connu notamment pour avoir transcrit pour piano seul plusieurs mélodies du compositeur russe et de l’américain. C’est sur ce terrain que nous amène le pianiste calabrais Vittorio Forte.
Ce n’est pas une surprise d’ailleurs de voir un italien du Mezzogiorno s’enflammer pour ces transcriptions d’une rare élégance. L’amour de la beauté, de l’élégance, c’est dans l’ADN de ces gens-là. Y ayant séjourné quelques années de ma vie, et y retournant régulièrement, j’ai un profond respect pour ce culte de la « bellezza », car l’émerveillement y est toujours sincère et spontané.
Le parallèle avec l’art d’Earl Wild est donc tout tracé, et j’ai été touché par les quelques mots d’introduction qu’à bien voulu livrer Vittorio Forte à propos du pianiste américain : « son art est un condensé de virtuosité et d’élégance, de tendresse et de fougue ». C’est si vrai et si joliment dit.
C’est donc une performance extrêmement généreuse et sincère qui nous est offerte sur cet album. C’est Rachmaninov qui avait l’habitude de transcrire ses chants au piano, et Wild lui avait emboîté le pas en signant de très belles adaptations, oscillant entre romantisme et impressionnisme. Le danger dans ces transcriptions pour l’interprète est de se laisser aller sans pour autant en faire des tonnes. Exercice a priori pas simple à réaliser car le point d’équilibre est toujours délicat à atteindre.
« Vittorio Forte ce la fa », comme disent les gars du Sud. Il réussit en outre à doser cette verve et cette fluidité jubilatoire de manière à trouver un équilibre proche de la perfection. J’ai particulièrement apprécié « Do not grieve » et cette ligne mélodique qui monte irrémédiablement en puissance, soutenue par un accompagnement rythmiquement indépendant.
Il y a dans le legato du pianiste italien comme une forme de simplicité naturelle (d’évidence ?), un épanchement toujours mesuré. Oui, cela semble s’écouler avec une telle facilité et délicatesse qu’on aurait presque envie de reprendre nos chères études de piano. Mais cela l’est-il vraiment ?
Un court interlude avec Tchaikovsky montre combien ce qu’a pu faire Wild avec le répertoire de Rachmaninov est génial. J’adhère moins au Bal et encore moins à la Danse des quatre cygnes. Pourtant, l’interprète ne manque pas de talent. Peut-être aurait-il fallu justement ici forcer le trait, rajouter un peu de pathos ? Les goûts et les couleurs… Difficile avec un compositeur dont le style a souvent été qualifié de pompier de fixer la limite du « raisonnablement sensible ».
En rejoignant Gershwin, on retrouve cette générosité typique d’Earl Wild, et fort bien reproduite par le calabrais. Vittorio Forte démontre être autant à l’aise sur Rach que sur la musique américaine du début du siècle dernier. Son interprétation des Sept études virtuoses est une franche réussite.
La troisième étude virtuose (The man I love) est particulièrement émouvante. Là encore, il faut saluer la maestria de l’interprète qui ne cède en rien aux sirènes du « show à l’américaine », tout en se livrant sans réserve. Les deux dernières études (« I got rhythm » et « Fascinating rhythm ») démontrent à quel point Vittorio Forte maîtrise son instrument ainsi que le genre musical.
L’improvisation sur un thème et ses 3 variations de « Someone to Watch over me », m’a moins séduit. C’est une composition inspirée de la fameuse chanson de la comédie musicale. Mais les variations d’Earl Wild sont tellement contrastées allant du style brésilien, à la barcarolle en passant par le tango, que j’ai eu l’impression qu’on y perdait un peu d’âme et d’émotion à vouloir trop intellectualiser la chose. Avis somme toute très personnel…
On notera quelques références introductives et conclusives à un répertoire plus ancien (Handel, Marcello, CPE Bach), qui s’il n’est pas dénué d’intérêt, n’éclipsera pas les vraies pépites de ce disque, à savoir les transcriptions de Rachmaninov et Gershwin. Un gros coup de coeur !
- Titre: Earl Wild : {Re}visions – piano transcriptions.
- Artiste: Vittorio Forte (piano).
- Format: PCM 16 bit, 44,1 kHz
- Ingénieur du son : Marcello Malatesta.
- Editeur/Label: Odradek Records.
- Année: 2021
- Genre: Classique
- Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Format CD uniquement.