Le Concerto en la mineur d’Edvard Grieg est une œuvre qui fait rarement l’unanimité chez la critique.
J’avoue aussi être partagé et finalement être rarement en phase avec les jugements sur les nombreuses références discographiques existantes.
Ce concerto dégage en fait une telle puissance romantique qu’il est essentiel à mes oreilles que le suivi rythmique de l’orchestre soit de tout premier plan pour que la flamboyance du pianiste puisse rejaillir pleinement. Cela demande une synchronisation incroyable, car le seul petit décalage est capable à mon sens de tout gâcher.
Il faut presque que l’orchestre joue les métronomes, porte en quelque sorte le pianiste, pour que l’osmose soit parfaite. En ce qui me concerne, la pulsation rythmique fait tout, et une des versions à laquelle je reviens souvent est celle de Radu Lupu avec le LSO emmené par Prévin chez Decca, version datée pour certains, mais qui reste pour moi une des versions où l’orchestre et le pianiste offrent cette énergie et cette dimension rythmique de la meilleure des façons.
Et comme mon avis ne fera clairement pas l’unanimité, je préfère néanmoins éclairer le lecteur sur mes attentes personnelles vis-à-vis de l’interprétation de ce concerto.
Margarita Höhenrieder aborde le premier mouvement avec un tempo assez rapide. Le piano se fond parfaitement bien au premier plan de l’orchestre de la Nordwestdeutsche Philharmonie, tout en donnant une perspective d’ensemble crédible.
Les timbres sont d’ailleurs très beaux, et la sonorité du piano, la réverbération font presque penser au tout début qu’il s’agit d’un enregistrement de concert.
La soliste ne se pose pas en superstar et la balance piano orchestre m’a paru plutôt équilibrée.
Si j’aime beaucoup l’enregistrement du Cleveland avec Léon Fleisher et Georges Szell, la fougue du pianiste me paraît parfois excessive, ainsi que la balance mettant trop en avant le piano sur les parties où l’orchestre joue avec le soliste.
C’est beaucoup plus équilibré avec la Nordwestdeutsche Philharmonie.
En revanche, cette phalange n’a pas la même ampleur que les orchestres de Cleveland ou de Londres. J’aurais aimé à certains moments que l’orchestre se fasse plus insistant, soit un peu moins cantonné dans un rôle d’accompagnateur.
Néanmoins, le piano de Margarita Höhenrieder reste chantant et très en phase avec l’orchestre.
L’Adagio confirme la qualité première de cette interprétation, celle d’un bel équilibre. C’est un moment plein de délicatesse, les sensibilités de la pianiste et de l’orchestre se conjuguent parfaitement. C’est dans ces instants précis que l’osmose tonale et rythmique crée cette forme de magie dans le Concerto en la mineur de Grieg. On ne retrouve pas cette fusion chez Szell. On la retrouve avec Prévin, Lupu et le LSO mais avec une amplitude dynamique un peu plus étendue chez le regretté pianiste roumain.
La pianiste ne recherche pas les prouesses techniques, mais développe un touché tellement sensible et délicat qu’il déroule ce second mouvement comme une évidence, et avec une grande poésie.
Le Final démarre par cet allégro moderato molto e marcato qui reste un passage éminemment virtuose et puissant. On ne retrouve pas dans cette version toute l’ampleur dont font preuve les deux références susmentionnées.
L’effectif orchestral est plus restreint et ne parvient pas à recréer cette dimension sonore, le phrasé de Margarita Höhenrieder n’étant pas non plus aussi incisif. Certes, la prise de son moins proche du piano ne permet pas de restituer ce coté si expressif des deux autres versions.
En revanche, cette interprétation ne passe pas à côté de cette dimension rythmique folk, qui est particulièrement bien servie lorsque l’orchestre sert de soubassement au pianiste. Et puis, on retrouve cette sensibilité dans l’andante maestoso, un chant qui semble vous tirer vers l’avant, sûrement, sans grands excès de fièvre, mais de façon déterminée.
Bref, ce n’est pas la version du concerto de Grieg la plus décoiffante que je connaisse, mais elle reste d’une grande homogénéité, et nous fait passer un agréable moment, avec quelques restrictions sur l’orchestre qu’on aurait aimé plus lumineux et incisif, du moins durant les premiers et troisièmes mouvements.
Suit une pièce contemporaine pour piano et main gauche seule, composée par l’Islandais Hjalmar Helgi Ragnarsson et intitulée « Stilla ». Cette composition fut commandée par Margarita Höhenriede elle-même, et qu’elle étrenna lors d’un concert en décembre 2022.
Cette pièce évoque pour moi cette nature islandaise sauvage et statique, capable de se réveiller brutalement, moins majestueuse peut-être que les décors campés par le Concerto en la mineur, mais néanmoins très intimidante et mystérieuse.
Elle constitue en tout cas une parfaite transition avec l’arrangement pour quatre mains des suites numéro un et deux de Peer Gynt, interprétées en compagnie du pianiste finlandais Antti Siirala.
J’ai du mal à être totalement objectif lorsque j’écoute ces œuvres de Grieg car j’y trouve une poésie naturelle si intense que je m’abandonne souvent à l’écoute de cette musique sans vouloir la disséquer ou analyser la qualité de l’interprétation.
Ce qui en ressort néanmoins est la superbe unité et complicité entre les deux pianistes qui ne cherchent jamais à prendre l’ascendant sur l’autre, mais au contraire semblent en totale communion.
Aussi, on profite de cette ligne mélodique sans faille, ce rythme dansant, ces couleurs magnifiques de la musique de Grieg, bref de cette lumière nordique si belle et troublante : de superbes aurores boréales et musicales !
Cette dernière performance remporte mon enthousiasme et décroche le Grand Frisson, malgré un concerto où l’orchestre résidant de Herford peine un peu à reproduire cette immensité et majesté des fjords norvégiens. Un délicieux moment…
- Titre : Edvard Grieg – Nord Licht.
- Artistes : Margarita Höhenrieder (piano), Nordwestdeutsche Philharmonie, Jonathon Heyward (direction), Antti Siirala (piano).
- Format: PCM 24 bit, 96 kHz.
- Ingénieur du son: Peter Laenger.
- Editeur/Label: Solo Musica.
- Année: 2024
- Genre: Classique.
- Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Discutable.