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Fanny M.

Est-ce le dessein que doit poursuivre une démarche artistique ? Celui de défendre la cause féminine, celle de ces femmes artistes ou aimantes, voire les deux, qui se sont effacées laissant la puissance créatrice masculine occuper les avant-postes ?

Si la démarche est louable et sympathique, Fanny Mendelssohn et Clara Schumann vont finir par devenir les égéries posthumes du mouvement Me Too…

Cela a néanmoins le mérite de remette au goût du jour certaines œuvres moins jouées, en espérant qu’elles n’éclipsent pas celles de nos vaillantes compositrices contemporaines qui peinent tout autant à briller et qui n’obtiendront sans doute jamais la même aura que ces deux musiciennes romantiques…

L’idée derrière cet album est de célébrer deux femmes : une inconnue qui a nourri les passions et a participé à l’engouement autour de Ludwig Van Beethoven. C’est l’amante mystérieuse à qui Beethoven a laissé une lettre, retrouvée à sa mort dans ses papiers, et jamais envoyée. Et puis, il y a Fanny M, née Mendelssohn et sœur de Félix qui préféra la cantonner à ses obligations familiales de femme au foyer, craignant qu’elle ne lui fasse de l’ombre sur le plan artistique.

Beethoven et son quatuor à cordes opus 18 n°1 est ainsi l’entrée en matière de ce réquisitoire pour l’égalité des sexes. Le Quatuor Anche Hantées nous livre ici une belle adaptation pour clarinettes.

Dès les premiers mesures, on sait généralement si on va s’ennuyer à l’écoute de cet opus 18.

Et les Anches Hantées nous rassurent immédiatement : elles (les anches) sont en pleine forme et distillent cet entrain, cet élan qui classe ces quatuors à cordes de Beethoven dans une ligue à part. C’est un jeu vivifiant et tout en délicatesse. Et puis quelle jolie pulsation !

Suit une œuvre contemporaine, commande adressée au compositeur Richard Dubugnon, pour mettre en musique cette fameuse « Lettre à l’Immortelle Bien-Aimée », qui n’est jamais arrivée à destination.

Force est de constater que les codes de l’écriture musicale sont assez éloignés de ceux du sieur Ludwig. Un récitant se joint ici au quatuor de clarinettes pour lire cette série de trois lettres, longue de dix pages, qu’a laissé Beethoven à sa mort. Il s’agit de Didier Sandre, sociétaire de la Comédie Française.

On s’étonne de la nature enflammée des propos d’un Beethoven au crépuscule de son existence. Je n’aurais jamais pensé que ce monument de la musique classique puisse tenir de tels propos.

Personnellement, j’ai quand même du mal à faire le lien entre les choix musicaux retenus et le personnage…

Enfin, le seul et unique quatuor de Fanny Mendelssohn, transcrit par Laurent Arandel, actuel chef de la Musique des Troupes de Marine, nous plonge dans une dimension de l’Adagio plutôt dramatique, laissant entrevoir encore moins d’espoir que la version pour quatuor à cordes. Difficile ici d’égaler à la clarinette ces accentuations marquées des violons, ces déchirements si facilement associés à la tristesse de la compositrice.

l’Allegretto est étonnement réussi. Ce côté sautillant et cette pulsation rapide qu’imprime les clarinettistes compense la lourdeur relative (versus les instruments à cordes) de l’instrument. Le fait d’utiliser un cor de basset (plus commun chez Mozart) permet sans doute également de gagner en nuance.

Le troisième mouvement (Romanze) peine en revanche à tenir cette fameuse pulsation. On dirait que les mouvements plus lents sont plus difficiles à retranscrire pour des instruments à vents, et simplifient quelque peu le feu intérieur qui bouillonne chez Fanny M. c’est à mon avis une aventure extrêmement risquée que de se mesurer à une section de cordes jouant de façon aussi fusionnelle la dernière partie de ce troisième mouvement.

L’Allegro molto vivace final redonne du peps à cette interprétation. Il faut tenir le tempo et les Anches Hantées n’ont peut-être jamais aussi bien porté leur nom.

Au final, Fanny M. est une réalisation ne manquant pas d’originalité. Les choix sont personnels et apparemment assumés.

Cela plaira ou ne plaira pas. C’est la conséquence d’une prise de risque évidente.

J’ai adoré pour ma part le premier quatuor opus 18, et d’une certaine façon l’audace du quatuor de Fanny M. Cela suffit amplement pour recommander ce disque et saluer la performance artistique des Anches Hantées.

  • Titre: Fanny M.
  • Artistes : Quatuor Anches Hantées, Didier Sandre.
  • Format: PCM 16 bit / 44,1 kHz.
  • Ingénieur du son: nc.
  • Editeur/Label: QAH
  • Année: 2023
  • Genre: Classique.
  • Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Format CD uniquement.