Cinquante ans qu’Henri Tomasi nous a quitté. C’est l’occasion de découvrir ou redécouvrir le travail de ce compositeur et chef d’orchestre né à Marseille de parents corses.
La musique d’Henri Tomasi est celle d’un grand compositeur lyrique. Chant du monde, mysticisme, révolte, imprègnent ses œuvres dont l’écriture multiple se déploie de Debussy et Ravel à l’atonalisme. Les œuvres pour piano ne figurent peut-être pas parmi ses plus connues. Néanmoins, je pense qu’elles sont particulièrement révélatrices de la personnalité de ce personnage corse, moderne, sensible et révolté.
Cet album vient rendre hommage à son parcours pianistique, et notamment à ses débuts puisque Tomasi, par nécessité pécuniaire, a joué très jeune du piano dans les cinémas de Marseille en accompagnant les premiers films muets, apprenant ainsi à improviser et à composer.
Le cinéma restera toute sa vie une source d’inspiration comme l’illustre parfaitement l’ensemble des trois pièces de « Paysages ».
L’amour de la Corse est bien évidemment la source et le moteur de la « Tarentelle », interprétée avec beaucoup d’aisance par Émilie Capulet. Oui, Émilie, l’interprète, je ne l’ai pas encore mentionnée car elle semble s’effacer derrière la partition. On ressent une grande érudition et compréhension de l’œuvre, comme si la star de ce double album était avant tout le compositeur… Émilie Capulet est d’ailleurs docteur en musicologie et littérature, conférencière, et professeur d’université. Cela explique finalement bien des choses, et notamment cette volonté manifeste de transmettre le savoir sans y interposer son propre ressentiment…
La Corse est également à l’honneur dans « Le Poème de Cyrnos », composition de jeunesse, mais déjà très intense et chargée de dramaturgie… L’âme corse est manifestement bien présente.
Les « Six pièces brèves » illustrent quant à elles la modernité du compositeur français. On ressent sa puissance lyrique et dramatique ainsi que son appartenance à ce vingtième siècle français, l’inspiration venant de ses contemporains. On retrouve ainsi des sonorités et des ambiances rappelant Darius Milhaud, Francis Poulenc ou bien encore Erik Satie.
Le Coin de Claudinet, c’est aussi ce tempérament typiquement méridional qui vient célébrer la Provence, sans doute la part la plus intime, livrée ici sous les doigts d’Emilie Capulet, et formulée dans une partition destinée aux enfants.
Enfin, le second disque célèbre le goût prononcé d’Henri Tomasi pour l’exotisme, avec la suite « Féerie laotienne », qui à l’origine fut écrite pour un ballet, puis déclinée pour le piano. On prend ainsi toute la mesure de la puissance poétique du compositeur, ainsi que sa soif de liberté : on retrouve pêle-mêle des accents jazz, des sonorités et rythmes à la Poulenc, mais aussi à la Debussy. Et puis bien sûr, il y a cette dimension ethnique, une sorte de jazz fusion avant l’heure dans la veine d’un Chick Corea s’amusant avec son compère Herbie Hancock, notamment dans le scherzo pour une fête de nuit. Superbe.
Aussi, pour la beauté du répertoire, pour l’interprétation, pour l’initiative, et peut-être tout simplement parce que cela serait dommage que cet album passe inaperçu, nous lui attribuons notre meilleure distinction, un Grand Frisson 2020 !
- Titre: Henri Tomasi – Complete Piano Works
- Artistes: Emilie Capulet (piano).
- Format: PCM 16 bit, 44,1 kHz
- Ingénieurs du son : Andrew Bourbon, Greg Smith
- Editeur/Label: Calliope
- Année: 2020
- Genre: Classique
- Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Uniquement disponible au format CD.