Après avoir improvisé sur la musique de Claude Debussy, le pianiste Hervé Sellin nous livre aujourd’hui un second recueil de digressions jazzistiques, dédié cette fois-ci aux répertoires de Gabriel Fauré et de Maurice Ravel.
Je ne m’imaginais pas vraiment qu’on puisse faire une lecture aussi libre du Requiem en ré mineur, dont l’introduction adopte très rapidement des rythmes latins.
Hervé Sellin ne s’en cache d’ailleurs pas et déclare que de n’être en rien prévisible dans son œuvre de déconstruction – reconstruction est un acte délibéré et assumé.
Il m’est réellement difficile alors de décrire ce qu’il reste de colonne vertébrale au Requiem de Fauré dans le procédé de réécriture de ces trois mouvements extraits de l’œuvre, et complètement chamboulés.
Pour faire une analogie avec une autre relation entre jazz et musique classique, autant il est simple de s’y retrouver avec un Jean-Jacques Loussier revisitant Bach, autant l’exercice est beaucoup plus compliqué avec Hervé Sellin.
Sur la Pavane opus 50, j’ai eu l’espoir de me raccrocher à cet air familier en me disant qu’il était quasi impossible d’en faire abstraction. Qui oserait en arriver là, tellement la mélodie est magnifique ?
L’art d’en faire tout autre chose, c’est ce qui fait l’intérêt de ce type d’approche musicale…
J’ai pu repérer néanmoins quelques bribes éparses de l’air de la Pavane opus 50, ici et là… Et j’avoue avoir adoré. On retrouve le thème assez régulièrement, enrichi d’accords magnifiques, totalement réharmonisés.
C’est une digression impressionniste, digne, voire supérieure, de ce que les grands jazzmen comme Herbie Hancock ou Chick Corea étaient capables d’improviser au sommet de leur art. Et puis, le phrasé puissant et élégant de Sellin est vraiment de cette veine, celle d’un jazz dont l’universalité et la modernité dépasse ses propres codes et ceux du répertoire classique.
L’Adagio du Concerto en sol de Maurice Ravel est l’occasion pour le pianiste d’accueillir un invité en la personne du bugliste Claude Egéa.
Sellin joue ici avec les polytonalités du concerto et de cet adagio dont il faut bien reconnaître qu’il est osé de transformer complètement une mélodie aussi sophistiquée.
Et pourtant, on ressent parfaitement l’atmosphère et la nostalgie planant sur cet adagio. J’ai perçu ce travail d’écriture comme un prolongement naturel du second mouvement du concerto pour piano de Ravel.
Les interventions du bugle apportent cette dimension concertante qui finit par former une cohésion, certes assez éloignée, avec l’œuvre originale. J’ai eu parfois la sensation de n’être pas très loin de l’univers de John Coltrane, ce qui est, me concernant, un des plus beaux compliments que je pourrais faire à un jazzman aujourd’hui.
Le début de Daphnis et Chloé est abordé avec une pulsation rythmique fidèle à cette idée du ballet, et accompagné d’accords dissonants, dans le style de Thelonious Monk, avec une forme rythmique très syncopée.
La sonorité du Fender Rhodes vient par la suite réchauffer ce climat très latin jazz. On se croirait presque revenu à l’époque de Return to Forever…
Le second mouvement « Danse religieuse » évoque un certain mysticisme, puis une vraie quiétude, une forme d’apaisement, de méditation ultime. C’est juste très beau, d’une rare élégance…
La Pavane pour une infante défunte s’inscrit comme une suite naturelle. On reconnaît facilement le thème, qui est magnifié, transcendé par la poésie de l’interprète. J’ai eu la sensation d’écouter à nouveau Herbie Hancock dans ses enregistrements solo de la grande époque.
Puis le bugle revient avec le final de « Ma mère l’oie », jouant à nouveau la carte de la délicatesse, des tendres harmonies, dans un univers plus proche des frères Marsalis. J’ai eu cette fois-ci davantage de difficultés à trouver mes repères du jardin féerique de Ravel. Sa nature lente et grave se transforme ici en quelque chose de plus léger, même si un sentiment de sérénité vous gagne assez naturellement.
Le Prélude à la nuit de « La Rhapsodie espagnole » et le « Prélude pour piano » viennent clore ce programme musical.
Ce qui est appréciable au delà de la communion du classique et du jazz, c’est la clarté et la sobriété avec laquelle l’exercice est réalisé. Hervé Sellin est à la fois respectueux et irrespectueux. Il trace des lignes mélodiques claires et inspirantes.
Il n’est jamais bavard ou insignifiant. Il nous offre juste le meilleur de ce que lui inspire la musique de ses deux géants du répertoire français.
Cela mérite à coup sûr un Grand Frisson et tous mes plus sincères encouragements à découvrir le merveilleux talent de cet artiste trop discret !
- Titre : Jazz Impressions – Fauré /Ravel.
- Artistes : Hervé Sellin (piano), Claude Egéa (bugle).
- Format: PCM 16 bit – 44,1 kHz.
- Ingénieur du son: Sami Bouvet.
- Editeur/Label: Indésens / Calliope.
- Année: 2024
- Genre: Classique.
- Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Format CD uniquement.
![Jazz Impressions - Fauré / Ravel 2](https://audiophile-magazine.com/wp-content/uploads/2024/01/Grand-Frisson-2024-1024x277.png)