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Karol Beffa : Talisman

Karol Beffa est un compositeur prolifique. Quoi de plus positif après tout lorsque les commandes vont bon train ? C’est en revanche extrêmement compliqué de rendre compte en quelques lignes des cinq œuvres figurant dans cet album. Et je n’entends d’ailleurs pas non plus me livrer à un simple exercice de cabotinage en chantant les louanges de Karol Beffa, et bien qu’il compte indéniablement parmi les contributeurs émérites de l’avant garde française.

« Les Ruines circulaires », pièce pour orchestre bois par deux, renvoient à la nouvelle de l’écrivain argentin Jorge Luis Borges.

Pari difficile que celui de retranscrire l’obsession du dédale, l’angoissante attraction pour le vide, que le romancier argentin affectionne si particulièrement. L’écoute des Ruines circulaires m’a fait personnellement penser au film de Hitchcock « Vertigo ». C’est donc sans aucun doute que le but visé par Beffa est atteint. Le travail de maillage des sonorités instrumentales qui évoluent progressivement aide à mettre en perspective ces mouvements de spirales et la sensation de vertige.

« Talisman », composition en 4 mouvements, nous laisse plongés dans un climat inquiétant, emprunt de mystère, pour évoluer vers un état de quiétude et de sérénité pour retomber dans la noirceur. Talisman m’a fait penser immédiatement à certaines formes de jazz rock progressif, comme celle de « Quartet » de Pat Metheny, qui reste à ce jour un de ses meilleurs albums. Talisman finit dans un climat confinant à l’étrange et à l’inquiétude, plus proche d’ailleurs de l’univers de la musique contemporaine que de celui du Pat Metheny Group.

Suit  » Destroy », composition centrale plus dynamique et moderne, à supposer que ce terme de modernité puisse vraiment définir le style de musique jazz funk dont il s’inspire. J’ai en fait apprécié ce que je qualifierais d’hybridation d’un ragtime endiablé et du vol d’un bourdon menaçant. La modernité tient à mon sens surtout à ce que Destroy s’apparente à une audacieuse revisite de la musique de Gershwin.

« Tenebrae » est avant tout un canular et son sous-titre « Requiem pour une droite défunte » l’illustre parfaitement (et bien qu’aujourd’hui avec le recul, on se demande si ce n’est pas l’ensemble de la classe politique dont il faudrait organiser les funérailles). C’est une litanie pesante qui évolue dans son second mouvement vers un entremêlement de deux thèmes évoquant successivement des climats de désolation, d’espoir ainsi qu’une certaine ironie… L’ambiance reste néanmoins très funèbre.

« Le Bateau ivre » vient clôturer cet album, avec un hommage évident au poème d’Arthur Rimbaud. C’est de toute évidence la composition de ce polyptyque la plus picturale. Cette forme concertante pour orchestre (l’Orchestre National de France en l’occurrence) passe d’une phase de miroitement instrumentaux à une multiplication des plans sonores, laissant elle-même place à des ambiances plus rythmées avec certaines sections rythmiques et cuivres qui font penser encore une fois à Gershwin mais aussi à John Williams. Ce navire interstellaire perdu dans l’immensité galactique aurait très bien pu venir tout droit de l’imagination du compositeur des musiques de films de la saga Star Wars. C’est dans un tumulte rythmique que se termine le voyage du bateau ivre. Que ses défunts passagers reposent en paix.

Cet album « Talisman » recèle définitivement d’un impressionnant travail d’écriture, un petit bijou d’un sombre éclat…

  • Titre: Talisman.
  • Artistes: Karol Beffa (composition, piano), Orchestre Philharmonique de Radio France (direction Pascal Rophé), Orchestre National de France (direction Alain Altinoglu), Quatuor Renoir, Sanja Bizjak (piano), Patricl Messina (clarinette), Lyodoh Kaneko et Young-Eun Koo (violon), Allan Swieton (alto), Marlène Rivière (violoncelle), Gustav Villegas (flûte), Guillaume Chilemme (violon), Léa Hennino (alto), Victor Julien-Laferrière (violoncelle).
  • Format: PCM 24 bit, 48 kHz.
  • Editeur/Label: Klarthe.
  • Année: 2020
  • Genre: Contemporain.
  • Intérêt du format HD : Discutable.