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La montagne magique

Après un premier album centré sur Janáček et Dvořák, le Quatuor Lontano, fondé à Paris en 2015, poursuit sa route avec cette fois-ci un second opus consacré à l’intégrale de l’œuvre pour quatuor à cordes d’Igor Stravinsky, et autres pièces. Il faut dire que Stravinsky ne s’est pas beaucoup consacré à l’écriture pour quatuor à cordes et que l’intégrale des ces œuvres peine clairement à occuper l’espace disponible sur un seul compact disc !

En plus de l’intégrale des partitions pour quatuor de Stravinsky, ce disque inclut donc aussi le « Lento molto » d’Aaron Copland, les quatre pièces du « Tombeau de Couperin » de Ravel (transcription d’Antonin Rey), les onze Folks Songs de Berio, ainsi que le Quatuor « A string quartet is like a flock of birds » du jeune compositeur américain contemporain Paul Novak. 

L’album se veut une rétrospective de l’effervescence issue du festival des Musicales d’Assy, au pied de la fameuse « montagne magique » que nous devinons être le Mont Blanc (à moins qu’il ne s’agisse de la chaîne des Fiz), plus qu’une référence au roman de Thomas Mann…

Présent dès les origines du festival, le Quatuor Lontano (anciennement Quatuor Koltès) y est en résidence chaque été dans un chalet de Burzier, où il peaufine son répertoire tout en s’associant aux autres musiciens invités pour explorer d’autres horizons.

Ceci explique la présence d’autres musiciens sur cet enregistrement et ces incursions vers des partitions aussi modernes que celle de Paul Novak.

J’ai apprécié l’absence de maniérisme ainsi que l’engagement et la ferveur du quatuor formé par Pauline Klaus et Florent Billy aux violons, Loic Abdelfettah à l’alto, et Camille Renault au violoncelle, ainsi que leur partenaires, dirigés par le chef d’orchestre Antonin Rey.

C’est d’ailleurs une évidence dans le « Tombeau de Couperin » où on apprécie cette pureté de la ligne mélodique et ce chant qui ne s’essouffle jamais. C’est vraiment bien fait, et même dans le menuet, où l’on pourrait être tenté de se laisser aller à plus d’introspection, ou au contraire davantage d’élan romantique, les interprètes tiennent le cap de façon imperturbable en suivant une ligne tellement naturelle qu’on se prend à redécouvrir la beauté de cette œuvre de Maurice Ravel. Les arrangements d’Antonin Rey frisent la perfection à mes oreilles.

Igor Stravinsky à laissé son empreinte dans cette localité de Haute Savoie, où il aurait composé le second mouvement de sa Symphonie en ut.

Il a en fait fréquenté de 1935 à 1939 la bourgade du plateau d’Assy pour les cures thermales où furent soignés son épouse Catherine et trois de ses enfants contre la tuberculose. 

Le Concertino a été écrit à l’origine pour une formation suisse, traité librement en forme d’un Allegro de sonate avec une partie nettement concertante du premier violon.

Cela démontre à quel point Stravinsky n’a jamais été très familier des quatuors à corde, préférant une forme concertante à l’interaction pure d’un quatuor.

Les Lontano arrivent pourtant à y trouver une forme d’équilibre, exercice pourtant pas du simple…

La berceuse de « L’Oiseau de feu » est interprétée avec un impressionnante justesse et délicatesse.

La encore, la sensation d’écouter une version très pure, exempte de tout ornement superflu, domine.

Idem pour la Danse russe de Petrouchka, où on appréciera cette parfaite fusion entre violon et piano, se jouant de toutes les difficultés rythmiques.

Les trois pièces pour quatuor à cordes représentent un changement de style chez Stravinsky, avec quelques marques d’atonalité. 

Elles font appel à une grande virtuosité chez leurs interprètes, et servent également de transition vers une œuvre beaucoup plus contemporaine : celle de Paul Novak, « A string quartet is like a flock of birds ». 

Cet ensemble de méditations en neuf mouvements imbriqués nous embarque vers des horizons très aériens, où les différents membres du quatuor sont constamment à la recherche des autres dans une forme de ballet, de chassés-croisés rappelant le vol d’une nuée d’oiseaux. Un bel hommage à ce très jeune compositeur.

Enfin, difficile de ne pas mentionner Luciano Berio, dont les Folk Songs pour mezzo-soprano (Amaya Dominguez), alto, violoncelle, flûte, clarinette, harpe et percussions terminent le programme de cet album.

Ces onze pièces courtes symbolisent sans doute l’interaction que les Lontano ont pu développer avec les autres participants du festival des Musicales d’Assy.

Ces arrangements de musique populaire de plusieurs pays sont à l’origine un tribut à la chanteuse américaine Cathy Berberian, épouse de Berio.

Difficile de passer derrière cette figure et muse de nombre de compositeurs contemporains, mais la cantatrice française Amaya Dominguez réussit avec sa voix chaude et sensuelle à faire varier les couleurs et les ambiances de ce cycle de 11 chansons. C’est une interprétation plus rythmée, plus ethnique, plus chatoyante qui nous est offerte ici, en comparaison de la version originale éditée chez RCA.

L’orchestration est également plus présente, plus en osmose à mon goût avec la chanteuse. On tient sans doute là une nouvelle référence de ces Folks Songs de Berio au disque !

Que dire de plus alors, à part souligner que cet album regorge de pépites et témoigne d’un sens aigu de la musicalité. Une superbe réalisation !

  • Titre: La montagne magique.
  • Artistes : Quatuor Lontano, Amaya Dominguez (chant), Samuel Bricault (flûte), Antoine Cambruzzi (clarinette), Sylvain Devaux (hautbois), Constance Luzzati (harpe), Quentin Dubreuil (percussions), Violaine Debever (piano), Antonin Rey (direction).
  • Format: PCM 24 bit 88,2 kHz.
  • Ingénieur du son: Victor Jacquemont.
  • Editeur/Label: VDE-Gallo.
  • Année: 2023
  • Genre: Classique.
  • Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Discutable.

La montagne magique 2