Le miroir de toute une vie : les enregistrements live à Radio France ou en studio de Sylvie Carbonnel regroupés au sein d’un coffret de dix CD…
L’intégrale des oeuvres pour piano de Mussorgsky fait sans doute figure de perle au sein de cet écrin de 10 CD puisque cette musique, en dehors des Tableaux et Préludes, n’a pas été beaucoup enregistrée. Je retiens l’excellente prestation de Giacomo Scinardo, et celle de François Dumont. Mais il n’y a guère de références au disque de ces oeuvres complètes pour piano de Mussorgsky…
On appréciera chez Sylvie Carbonel, ce phrasé alerte et enjoué dans ce répertoire, dénué de tout ornement ou accentuation ostentatoire. Il y a ainsi énormément de poésie qui se dégage des souvenirs d’enfance, particulièrement le troisième.
Idem en ce qui concerne « Méditation » ou bien encore « A Tear » : la musique coule doucement, sereinement avec cette touche de nostalgie parfaitement dosée. « Intermezzo » , « La Capricieuse » et « La Couturière » sont autant de petits bijoux qui viennent peupler cette intégrale qui était à l’époque de sa parution en 1991 une première mondiale au disque.
Les Tableaux ont une discographie tellement riche qu’il est difficile de porter un jugement de valeur particulièrement nuancé. Je retiendrais de cette version une certaine élégance, bien loin de certaines interprétations très mécaniques, avec sans doute un Gnomus qu’on aurait pu souhaiter un peu plus inquiétant…
J’ai apprécié la fluidité et le naturel du jeu de la pianiste française. Jamais elle ne cherche à en faire trop, peignant chaque Tableau avec imagination mais avec sobriété, et donc dans un équilibre pas loin de la perfection.
Un autre grand moment de cette rétrospective discographique est l’enregistrement live de Radio France dédié à Franz Liszt.
Sylvie Carbonel joue ici avec le Nouvel Orchestre Philharmonique de Radio France, sous la baguette de Mark Starr, « Totentanz », suivi de la « Paraphrase sur la séquence du Dies irae ».
En soliste, elle interprète ensuite la « Sonate en si mineur », celle dédiée à Robert Schumann. Puis elle termine avec deux autres extraits des Harmonies poétiques et religieuses : « Bénédiction de Dieu dans la solitude » et « Funérailles ».
Le jeu de Sylvie Carbonel est précis et élégant, la fusion avec l’orchestre est évidente et la prise de son remarquable dans la danse des morts.
Le phrasé est chaleureux et spontané, éminemment virtuose dans la sonate. Mais c’est le naturel du jeu de la pianiste, ainsi qu’une utilisation sobre des pédales, qui font de cet enregistrement Liszt une référence à avoir dans sa discothèque, au titre de la lisibilité et de l’élégance qui s’en dégage.
Ce coffret accorde également une place de choix à la musique française, notamment celle d’Emmanuel Chabrier (et ses dix Pièces pittoresques), ou celle, plus contemporaine, de Jacques Desbrière.
C’est une belle opportunité pour découvrir ou redécouvrir ce répertoire particulièrement inspirant. Sylvie Carbonel nous l’expose de bien belle manière.
La musique française ne se cantonne d’ailleurs pas à ces deux seuls compositeurs , mais s’étend également à Charles-Valentin Alkan (ha, ce « Scherzo diabolico »), Georges Bizet, Claude Debussy, Olivier Messiaen (pour lequel l’interprète semble éprouver un intérêt marqué), Georges Hugon, et Alain Louvier.
Outre cette connaissance approfondie de notre patrimoine musical du 19ème et vingtième siècles, ce sont la délicatesse, cette tonalité chantante, ce légato subtil, cette puissance maîtrisée et évocatrice qui nous charment tout au long de ce voyage exploratoire. Le neuvième CD consacré à la musique française est d’ailleurs sans doute celui qui me ravit le plus.
Peut-être est-ce parce que je nourris la même admiration pour Olivier Messiaen ? S’il était besoin, en tout état de cause, de démontrer que madame Carbonel est une grande soliste, ce disque en est la preuve incontestable…
Le Trio de Johannes Brahms pour piano, clarinette (Michel Portal), et violoncelle (Roland Pidoux) en la mineur opus 114 s’avère un délicieux moment musical. Les trois interprètes sont totalement complices et le Trio chante admirablement.
L’engagement du violoncelliste est un bonheur absolu : il porte cet opus 114 de bout en bout, en est la véritable colonne vertébrale.
Passons sous silence le reste du contenu de ce coffret afin de ne pas se perdre, et malgré la qualité indéniable de tout ce que je n’aurai pas évoqué dans cette critique.
C’est en conclusion une belle rétrospective, et un projet d’importance pour cette pianiste française discrète et passionnée, qui démarra sa carrière sous les conseils avisés de Pierre Sancan.
Ce qui me tient à coeur personnellement, c’est de décerner à ce « miroir de toute une vie » un hommage bien mérité, et mon premier Grand Frisson de 2024 !
- Titre: L’Art de Sylvie Carbonel.
- Artistes : Sylvie Carbonel (piano), Nina Bodnar Horton (violon), Alain Marion (flûte), Michel Portal (clarinette), Hervé Derrien et Roland Pidoux (violoncelle), Nouvel Orchestre Philharmonique de Radio France (direction Mark Starr).
- Format: PCM 16 bit / 44,1 kHz.
- Ingénieurs du son: Quentin Geffroy, Ian Debeerst.
- Editeur/Label: Skarbo.
- Année: 2023
- Genre: Classique.
- Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): format CD uniquement.