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Les musiques de Madame Bovary

C’est un projet à la fois ambitieux et passionné, celui de faire revivre Emma Bovary, une des plus grandes héroïnes de la littérature française, par le biais de morceaux choisis.

Idée intéressante, et à la fois un peu cliché, à l’instar d’une super compil Madame Bovary…

Mais bien plus qu’un recueil des hits probables ou non de Gustave Flaubert, le pianiste français David Kadouch nous transmet par l’intermédiaire de son instrument sa passion pour la littérature et son amour pour cette héroïne romanesque.

Ce disque regroupe ainsi un grand nombre de compositions romantiques dont les faveurs vont logiquement à la sœur de Robert Schumann, Fanny, cette artiste tellement sensible, qui a en partie sacrifié sa carrière artistique pour l’amour de son frère, et dont les aspirations de liberté, de flamboyance, de gloire, furent sans doute assez proches de celles de l’héroïne de Flaubert. On pourrait néanmoins y opposer une certaine sincérité et vivacité intellectuelle chez Fanny, alors qu’Emma se réfugie mesquinement dans un idéal bourgeois et superficiel…

Le cadre est donc joliment dessiné, mais c’est sans compter la sensibilité de l’interprète.

En effet, David Kadouch nous offre ici un magnifique récital.

La première œuvre jouée est donc signée de la main de Fanny Hensel-Mendelssohn : « Mai », pièce printanière et festive, abordée par le français avec une certaine mélancolie, comme si la joie d’Emma Bovary ne semblait pas à la hauteur de ses espérances.

Suit une sérénade de Pauline Viardot, contemporaine et intime de Flaubert. Le romantisme hispanisant de cette composition permet de mettre en musique le caractère passionné de l’héroïne.

La série des Nocturnes de Chopin opus 19 1,2 et 3 est un tantinet rapide, surtout en comparaison des références récentes ou pas trop datées comme celle de Jan Lisiecki (qui en fait sans doute un peu trop) ou de celle, excellente, de Bruno Amoyel pour le label Calliope. Il manque en fait de la respiration par rapport aux grandes interprétations, parfois un peu de finesse d’un Maurizio Pollini qui est pourtant quasiment sur le même tempo.

La pièce de Fanny Hensel-Mendelssohn « Septembre » illustre les tumultes de l’âme et la mélancolie de l’héroïne. David Kadouch délivre une interprétation émouvante, et particulièrement adaptée aux doutes qu’Emma Bovary peut avoir à propos de son mariage avec Charles.

La transcription pour piano de la Valse du ballet Coppélia n’est pas aussi virtuose que celles que nous ont livrées Ilona Prunyl ou Nikolai Petrov. Mais il y a en revanche un esprit romantique qui va parfaitement avec le propos romanesque de cet enregistrement.

Du coup, cela fonctionne plutôt bien, avec un tempo de valse particulièrement bien respecté, et on ressent cette émotion de midinette qui devait animer le personnage emporté par la fête. C’est magnifiquement exécuté.

L’Air russe varié de la compositrice Louise Farrenc nous fait évoluer entre mélancolie profonde et exaltation. Ici, moins de relation directe avec Emma Bovary et son état d’esprit. C’est clairement la référence à cette figure de la musique française qui a été une des premières femmes à obtenir sa classe de composition au Conservatoire de Paris. Mais l’ambiguïté entre passion et mélancolie permet de rebondir sur la tentative de Charles Bovary pour distraire son épouse en l’amenant écouter Lucia di Lammermoor de Donizetti à l’opéra de Rouen.

C’est cette dimension tragique et mélancolique qui nous ouvre la plus belle fenêtre sur le désarroi de l’héroïne de Flaubert via le Réminiscences de Franz Liszt.

Seul échappatoire ici à la médiocrité du quotidien, les délicates variations de Clara Schumann viennent offrir cette bouée de sauvetage, cette quiétude tant apaisante alors que la noirceur envahit l’âme d’Emma Bovary.

C’est malheureusement un vain espoir et Fanny Mendelssohn revient sceller ce destin tragique au travers de « Mars » annoté agitato, puis du « Nocturne en sol mineur » et de « Mélodie ».

Quand littérature et musique se rejoignent pour évoquer les tourments de l’âme d’une femme…

  • Titre: Les musiques de Madame Bovary.
  • Artiste : David Kadouch (piano).
  • Format: PCM 24 bit, 192 kHz.
  • Ingénieur du son: Hugues Deschaux.
  • Editeur/Label: Mirare.
  • Année: 2022
  • Genre: Classique.
  • Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Réel.