Vittorio Forte est un de ces pianistes qui n’aiment pas particulièrement emprunter les sentiers balisés, ou qui préfèrent explorer des répertoires moins consensuels et moins enregistrés.
Aborder la musique du compositeur russe Nikolai Medtner, et plus particulièrement ses Mélodies oubliées ou ses Contes de fées (Skazki) n’est donc pas une totale surprise venant de la part de Vittorio Forte.
Et si l’œuvre pour piano de Medtner reste relativement méconnue, elle n’est pas pour autant d’une singularité débridée.
En effet, Medtner fut un grand conservateur, farouche défenseur de la tonalité, de l’harmonie et du contrepoint, alors que son époque (la première moitié du vingtième siècle) était celle des grandes mutations de l’écriture musicale.
Ce grand romantique, contemporain de Rachmaninov et de Scriabin, défendra ses opinions conservatrices dans un essai publié en 1935 (et avec le soutien de Rachmaninov !) intitulé « La Muse et la Mode ». Voilà pour la justification du titre de cet album !
La Muse, c’est sans doute celle qui inspire une telle mélancolie dans ces mélodies oubliées. C’est aussi celle qui guide la main du compositeur, et non pas une logique sérielle ou mathématique.
Enfin, plus en rapport avec le programme de ce disque, « La Muse » est le premier des sept poèmes d’après Pouchkine Opus 29. Medtner répond ici à l’hymne de Pouchkine à sa muse bien aimée, avec une mélodie fluide et des harmonies délicates, enrichies par une adaptation personnelle de Vittorio Forte qui vient clore ce programme.
Pour en revenir à l’esprit de cette musique de façon plus globale, Il y a une forme de minimalisme qui s’installe parfois dans ce flux romantique, une forme d’intimité qui permet de se ressourcer. C’est sans doute ce que Medtner cherchait à exprimer dans cette première sonate de la réminiscence, ou en tout cas ce que j’ai pu en ressentir…
Les danses « gracieuse » et « festive » sont plus conventionnelles, et en même temps elles n’évoquent aucune similitude avec un air connu. La danse « rustique » est en revanche plus originale, plus envoûtante également.
Il y a une certaine retenue, voire une sobriété, chez Vittorio Forte, qui m’a semblé de bon ton. Je pense en effet que cette musique pourrait presque paraître caricaturale si on y ajoutait trop de rubato.
Changement de tonalité avec les 4 fragments lyriques opus 23 : moins d’intériorité et plus de romantisme cette fois-ci.
L’interprétation est pétrie de délicatesse, et j’avoue que ces compositions que je n’avais jamais écoutées auparavant me touchent, à l’exception de « l’andantino tenebroso » final pour lequel j’aurais peut-être choisi un tempo plus lent. C’est sans doute un art difficile que de vouloir être original et en même temps respectueux de l’héritage musical légué par ses pairs.
Et boum, nouveau changement d’atmosphère avec ces Fairy Tales opus 51, les fameux Skazki, particulièrement enjoués.
La puissance évocatrice de ces six tableaux est saisissante. Ils s’inspirent de contes pour enfants, à l’instar de Cendrillon ou d’Ivan le Fou.
C’est une musique tantôt virevoltante et légère, et parfois plus grave. Elle m’est apparue plus insaisissable que celle des Tableaux de Mussorgsky. Vittorio Forte nous entraîne dans cette féérie changeante en prenant le soin de doser la juste intention, celle qui permet de laisser leur place aux rêves et à l’imagination.
C’est au final une très belle initiation à ce répertoire que beaucoup comme moi découvriront. Une heureuse initiative somme toute !
- Titre: Nikolai Medtner – The Muse.
- Artistes : Vittorio Forte (piano).
- Format: PCM 24 bit / 96 kHz.
- Ingénieur du son: Marcello Malatesta.
- Editeur/Label: Odradek.
- Année: 2023
- Genre: Classique.
- Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Réel.