Avec ce nouvel enregistrement de Madama Butterfly de Puccini, le chef octogénaire Lawrence Foster revient à la tête de l’Orchestre de la Fondation Gulbenkian dont il fut le chef entre 2002 et 2013. C’est aussi l’occasion pour lui de retrouver la cantatrice américaine Melody Moore dans le rôle-titre, avec laquelle il avait déjà enregistré Otello de Verdi et La Fanciulla del West du même Puccini pour le label Pentatone.
Tout le monde ne se passionne pas forcément pour l’opéra au disque et beaucoup préfèrent le live, ou considèrent que la seule dimension sonore ne peut arriver à recréer l’émotion du spectacle vivant et visuel qu’est l’opéra.
Je pense pour ma part que cet abandon du visuel nécessite a minima une prise de son favorisant une image stéréo tridimensionnelle crédible. C’est bien évidemment l’apanage des enregistrements modernes et de certains enregistrements en studio, qui permettent d’optimiser la prise de son, mais qui sont également devenus un luxe aujourd’hui au regard du public moins nombreux et du coût d’une telle production.
Il y a aussi l’osmose technique entre les chanteurs et l’orchestre qui entre en ligne de compte et qui disqualifie parfois certaines prises de son live.
C’est pour cela que j’adore la version studio de Karajan avec Mirella Freni et Luciano Pavarotti.
La fusion entre l’Orchestre Philharmonique de Vienne et les chanteurs est de tout premier ordre, quitte à reprocher à Karajan une vision trop esthétique et pas assez théâtrale. Je suis néanmoins d’avis que le théâtre doit rester au théâtre, et que le chef doit s’adapter au médium pour recréer une émotion, dut-elle être différente de celle originale.
L’enregistrement de ce nouvel opus a été réalisé à Lisbonne, à l’été 2019, avec une distribution internationale avec Stefano Secco dans le rôle de Pinkerton, le baryton Lester Lynch dans le rôle de Sharpless, et la soprano Elisabeth Kulman dans celui de Suzuki, la servante de Cio-Cio San.
Cette nouvelle version, à l’instar de celle de Karajan avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne, fait la part belle à l’orchestre et à la plastique sonore.
L’air de « Ah ! Ah ! quanto cielo… Ancora un passo o via » restitue cette magie de l’apparition de Cio-Cio San. Si le chant de Melody Moore n’est pas aussi envoûtant que celui de Mirella Freni, le chœur est plus présent, moins diaphane, que dans la version de Karajan.
La qualité de l’image stéréo est également d’excellente facture, supérieure même à la version Karajan Pavarotti Freni.
L’orchestre ne parvient pas tout à fait au même niveau fusionnel avec les chanteurs mais semble parfois, notamment dans le « Gran Ventura » suivant, mieux ponctuer les chants des différents protagonistes.
« Un bel di vedremo » reste un moment jouissif de la collaboration Freni / Karajan, la fusion entre l’orchestre et la soprano étant tout simplement magique. On se trouve dans le bel canto le plus pur qui soit.
Difficile aussi de passer après un tel monument musical. Néanmoins, Melody Moore délivre davantage d’émotion, un chant plus naturel, moins coloré que celui de Mirella Freni.
Certes, la puissance de Karajan semble incommensurable, mais la respiration et le naturel, sans doute l’intention également, me semblent plus justes dans cette dernière version de Lawrence Foster.
Peut-être tout simplement la prestation de Moore est un juste équilibre entre la volupté sonore de Freni et la théâtralité de Maria Callas… Elle incarne une Cio-Cio San plus fragile, certainement plus humaine et moins cette icône inaccessible qu’on imagine trop souvent dans ce rôle.
« Bamba dagli occhi pieni di malia » met en scène un Pinkerton plutôt convaincant en la personne de Stefano Secco.
C’est un beau duo, encore une fois très équilibré, avec sans doute un vibrato un peu trop large chez Melody Moore, mais cette caractéristique parvient aussi à amener bien souvent ce supplément d’humanité.
L’orchestration m’a semblé un brin timide, notamment en comparaison de l’enregistrement d’Erich Leinsdorf avec Leontyne Price et Richard Tucker qui reste pour moi une des meilleures références sur ce passage bien précis.
La scène finale est à mes oreilles une des meilleures que j’ai pu écouter jusqu’à présent. Si on devait retenir ce dernier extrait pour donner un ressenti général sur la performance de Melody Moore, la cohérence et la qualité de la prise de son, ainsi que l’humanité, la fragilité et le désespoir de Cio-Cio San en sortiraient sans doute vainqueurs.
Car c’est bien ce naturel, ce drame relaté sans y apporter une dose de théâtralité excessive, qui séduisent à l’écoute de cet enregistrement de Lawrence Foster. Une version de la maturité ? C’est a priori dans les cordes du chef d’orchestre, et ce qu’on retiendra de cet enregistrement parfaitement bien capté.
- Titre: Puccini – Madama Butterfly.
- Artistes : Lawrence Foster (direction), Orchestre et Choeur Gulbenkian, Melody Moore, Stefano Secco, Elisabeth Kulman, Lester Lynch.
- Format: PCM 24 bit, 96 kHz
- Ingénieur du son: Lauran Jurrius.
- Editeur/Label: Pentatone
- Année: 2021
- Genre: Classique.
- Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Réel.