Un nouveau périple chez Robert Schumann, enregistré chez Klarthe, avec un programme très personnel, où la pianiste Laurianne Corneille nous invite à contempler le double schumannien, à savoir les figures d’Eusébius et de Florestan, personnages diamétralement opposés. D’où ce thème de l’hermaphrodite, faisant écho aux blessures et angoisses de l’artiste, mais aussi à la nature fusionnelle de la relation de Robert et Clara Schumann. Ce n’est pas un exercice très simple, puisqu’au delà de la nécessaire abnégation et de la recherche du chant schumannien, il faut naviguer sur cette mer de contradictions et d’ambiguïtés.
Après une introduction très sombre des Chants de l’Aube, les Kresleriana, pièces composées pour Clara, reflètent bien l’instabilité et les conflits intérieurs du compositeur. L’interaction des deux êtres imaginés par Schumann illustre en tous cas cette dualité, entre fougue et rêverie.
Il y a dans l’interprétation de Laurianne Corneille peut-être un peu plus de fêlure que de rêverie. Difficile de comparer cette performance à des interprétations aussi équilibrées et chantantes comme celle de Murray Perahia enregistrée chez Sony. La captation très proche du piano de Laurianne Corneille n’y est sans doute pas étrangère. Mais on ressent aussi une implication toute personnelle dans le jeu de la pianiste, une force motrice confinant parfois au désespoir, ou à la mélancolie.
On comprend mieux lorsqu’on apprend que l’interprète a été renversée et gravement blessée par un chauffard, un an avant d’enregistrer cet album. Cette forme de « brisure schumannienne » prend ainsi une toute autre dimension, développant ici davantage d’aspérités que ce qu’on peut trouver chez Perahia et Argerich. Il y a beaucoup d’engagement, pas forcément une recherche absolue d’élégance du chant, plutôt une volonté délibérée d’exhumer cette dualité mais aussi cette ambiguïté homme – femme, inhérente à la relation fusionnelle du couple Schumann.
Laurianne Corneille insuffle une dose supplémentaire de dramaturgie à ces compositions, avec une main gauche très présente, et un tempo plutôt lent, comme on peut le constater très aisément dans le « Sehr Lebhaft » ou le « Sehr Langsam » suivant.
Au delà du chant, d’une vérité historique, de la beauté de la musique, l’interprète cherche ici à délivrer une émotion. Et force est de constater que le pari est plutôt réussi.
Sur les trois dernières pistes de cet album, la pianiste nous convie à encore davantage d’intimité en lisant des textes de Roland Barthes sur la musique de Schumann. Loin d’être impudique, cette thérapie musicale s’avère émouvante et sincère, et laisse entrevoir un passage vers la lumière.
- Titre: L’Hermaphrodite.
- Artiste: Laurianne Corneille (piano).
- Format: PCM 24 bit, 96 kHz
- Ingénieur du son : Ken Yoshida.
- Editeur/Label: Klarthe.
- Année: 2020
- Genre: Classique.
- Intérêt du format HD : Réel.