Le pianiste italien Michele Campanella nous livre un nouvel opus dédié à Brahms.
Il y interprète les Klavierstucke op. 76, 118 et 119.
Il ne s’agit donc pas de l’hommage de Kurtág à Stockhausen, mais juste d’un regard en arrière, celui que porte l’interprète sur cette musique si particulière de Johannes Brahms, qui peut paraître tellement contradictoire et complexe, que le plus dur semble être d’en délivrer une forme d’expression simple et tranquille.
C’est a priori le parti pris par Michele Campanella qui utilise pour cet enregistrement un Steinway d’époque, plus précisément de 1892. Il combine ici la luminosité tonale avec la tranquillité, le rythme lent d’une l’interprétation pour créer une forme de magie sonore, caractérisée par une approche chaleureuse, méditative et intime, en tout cas certainement moins démonstrative que ce qu’on entend habituellement de ces chefs-d’œuvre miniatures.
Dans ces pièces, Campanella trouve un équilibre parfait entre la poésie de Brahms et son organisation formelle, suggérant dans ses notes transcrites dans le livret que c’est dans cette relation que se trouve la clé de la personnalité musicale de Brahms. Campanella soutient que dans les œuvres ultérieures en particulier, l’évitement par Brahms des formes à plus grande échelle telles que la sonate pour piano était un virage conscient vers l’intérieur, laissant de la place pour « des enquêtes émotionnelles sur les ondulations les plus subtiles de sa sensibilité ténébreuse ».
Si j’aime le legato et la puissance de Peter Orth dans les 8 pièces pour piano Opus 76, et encore davantage les envolées et les pianissimi d’une Lilya Zilberstein, il faut reconnaître au pianiste italien une certaine aptitude à transcender le naturel et à trouver une forme de sérénité chez Brahms, au delà des intentions sombres et agitées qu’on pourrait lui prêter.
Questions de goûts et de choix d’instrument par ailleurs… Beaucoup trouveront sans doute un tantinet trop d’austérité dans cette interprétation de l’Opus 76.
L’Opus 118 est joué dans la même veine, avec un tempo particulièrement lent.
Nicolas Angelich chez Erato nous emporte plus franchement dans le troisième mouvement (Ballade. Allegro energico), tout en offrant une version plus contrastée, moins monolithique.
La version de Wilhelm Kempf pour Deutsche Grammophon est quasi aussi lente que celle de Campanella, mais le chant est tellement présent qu’on n’y trouve en aucune façon des longueurs.
Et que dire du feu de Radu Lupu chez Decca, ou de celle si passionnée de Paul Badura-Skoda pour Naïve ?
Michele Campanella se tient bien loin de ces interprétations enflammmées, plus du côté de la paisible mélancolie, une version certainement moins enjouée, avec des contrastes dynamiques moins marqués.
Le parti pris d’instaurer un parallèle entre la personnalité réservée du compositeur et la nature de sa musique est à mon humble avis un biais imposé par l’interprète. Pourquoi penser que la musique de Brahms devrait refléter son caractère ? Ne peut-on pas exprimer autre chose qu’un reflet de sa propre personnalité au travers de la musique qu’on compose ?
L’Opus 119 clôture ce programme et semble offrir davantage de prise, voire d’ascendant, au Maestro italien pour aller dans la direction souhaitée. Serait-ce finalement la bonne formule ? Je crois malheureusement qu’il n’y a pas de réponse qui s’impose d’elle même. Selon sa propre sensibilité on pourra ressentir différemment l’intériorité de Johannes Brahms. Faut-il vraiment se poser ces questions ? Je n’en suis pas vraiment certain. La musique de Brahms lui a survécu et en fait quelque chose à part, amené à dépasser les tourments de notre vie sur terre, et les extrapolations qu’on pourrait en faire.
- Titre: Rückblick.
- Artistes : Michele Campanella (piano).
- Format: PCM 16 bit 44,1 kHz.
- Ingénieur du son: Valter Neri.
- Editeur/Label: Odradek Records.
- Année: 2022
- Genre: Classique.
- Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Format CD uniquement.