C’est un enregistrement qui ne vous laissera sans doute pas indifférent.
Enregistré en octobre 2022, cet album évoque les connexions entre les univers de Schubert et de Liszt, et notamment entre le Wanderer et la Sonate en si mineur.
L’album débute par une œuvre dédiée à la virtuosité, Wanderer Fantasie, considérée comme la composition de Schubert pour piano la plus exigeante techniquement. Schubert lui-même aurait dit « Das Zeug soll der Teufel spielen » (« C’est le diable qui devrait jouer ça »), faisant référence à sa propre incapacité d’exécuter le final correctement.
Ali Hireche, joue pourtant cette première fantaisie avec une énergie et un engagement manifestes. La captation du piano est particulièrement bien exécutée et toutes les couleurs de l’enfer ressortent très nettement.
L’interprète semble d’ailleurs s’effacer derrière la partition et on n’a pas l’impression qu’il y ait une intention d’imprimer sa propre lecture de l’œuvre. Après tout, cette partition n’en a pas vraiment besoin et se suffit à elle même.
L’Adagio est ainsi très émouvant, sobre et touchant. Le tempo est juste et Hireche, malgré cette impression de grande neutralité, fait preuve d’une exceptionnelle sensibilité. La rigueur n’empêche pas le feu intérieur de se consumer et le pianiste parisien l’entretien jusqu’à l’Allegro final, particulièrement bouillonnant.
La seconde œuvre au programme de cet album est « Der Wanderer », lied composé par Franz Schubert à la fin de 1816 pour voix et piano. Cette transcription de Liszt n’enlève rien au chant imaginé par Schubert.
Je trouverais presque cette approche encore plus émouvante. Elle laisse davantage à entendre cet abime qui hante le voyageur, sans doute à la recherche d’une terre idéale.
Même sensation avec une autre transcription du lieder de Schubert « Gretchen am Spinnrade » (Marguerite au rouet) : Liszt tire réellement la quintessence dramatique de l’œuvre. C’est tout le génie de Franz Liszt d’avoir su aller au delà du lied chanté en exploitant pleinement le potentiel de la mélodie au piano. L’entrelacement du chant de Marguerite avec le motif du rouet nous emmène simplement plus loin dans le romantisme. Ali Hireche l’interprète ici admirablement.
Dernier lied tiré de l’œuvre de Goethe, « Le Roi des Aulnes » finit de nous convaincre de la puissance dramatique de ces transcriptions de Liszt pour le piano.
Si Hireche ne témoigne pas la même délicatesse qu’un Murray Perahia sur les passages pianissimi, ni la même richesse tonale sur les forte, les trois voix du lied me semblent extrêmement lisibles et distinctes, bien plus finalement que sur cet enregistrement de 1999 paru chez Sony.
Il y a comme une évidence du chant qui semble rémanent dans l’interprétation d’Ali Hireche.
Pour faire référence à une version plus récente comme celle de Jean-Nicolas Diatkine, le tempo plus rapide adopté par ce dernier ne permet pas de souligner aussi fortement les différentes voix.
Il faut, pour retrouver un tel sens du chant, aller piocher dans le catalogue Sony avec cette merveilleuse interprétation du jeune Yevgeny Kissin (enregistrement de 1993), par ailleurs plus riche et plus fluide que celle du pianiste parisien.
La grande sonate en si mineur de Liszt vient clore cet album.
Le premier mouvement (lento assai – allegro energico) débute de façon très verticale. En comparaison, Krystian Zimerman (enregistrement de 1990 pour DG) nous offre une version beaucoup plus faustienne, dans le sens où la musique tourbillonne davantage, dans un climat où se partagent vertige et folie.
Ce que fait Marta Argerich est peut-être à mi-chemin dans sa captation de 1982 (toujours chez DG), et j’avoue avoir un faible pour la version de Zimerman, mais on aurait pu espérer un diable nettement plus ensorceleur chez Hireche.
La partie lente est jouée sans aucun ornement. Elle est à mon goût excessivement calme alors que celle de Zimerman me tient en permanence sur la brèche, on s’imagine parfaitement la tension palpable de l’emprise satanique.
Il est clair que cette œuvre sollicite au plus haut point la virtuosité de l’interprète et il faut composer avec ce paramètre qui ne met pas tout le monde sur un strict plan d’égalité.
L’andante sostenuto permet néanmoins à chacun d’exprimer sa sensibilité, et j’ai vraiment apprécié celui d’Ali Hireche, peut être parce qu’il tranche avec le premier mouvement…
Mais des références comme celles de Claudio Arrau chez Philips ou bien encore celle d’Alfred Brendel pour Decca sont d’une incommensurable subtilité.
En ce qui concerne l’ « Allegro energico » final, on revient sur une problématique de pure virtuosité, et la prestation de krystian Zimerman ou celle d’un Claudio Arrau, voire d’un Maurizio Pollini, restent insurpassable à mes oreilles sur cette dernière partie.
Au final, que faut-il retenir de ce dernier opus du pianiste Ali Hireche ? Sans doute un pari audacieux de se mesurer à des monuments du piano romantique, ainsi qu’une certaine droiture dans la conduction de son travail et de son interprétation.
Si je reste sur la réserve concernant la sonate en si mineur de Liszt, j’ai vraiment apprécié le répertoire de Schubert et les transcriptions de Liszt. Hireche a manifestement su s’effacer au bénéfice de la partition, tout en laissant s’exprimer une grande sensibilité. Ce n’est pas un exercice simple, souvent l’apanage des grands interprètes. C’est donc un bon disque, qui trouvera sa place chez tout collectionneur d’acrobaties pianistiques !
- Titre: Schubert & Liszt – Ali Hireche.
- Artistes : Ali Hireche (piano).
- Format: PCM 24 bit / 44,1 kHz.
- Ingénieur du son: Clémence Fabre.
- Editeur/Label: Bion Records.
- Année: 2023
- Genre: Classique.
- Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Discutable.