Visions Poétiques, clin d’œil à un courant post romantique, rassemble Franz Liszt et Lili Boulanger sur un même album. C’est l’ensemble Reflets, formation à géométrie variable, qui officie avec la pianiste Marie-Laure Boulanger, la soprano Magali Léger, la violoniste Françoise Douchet, et le flûtiste Thierry Durand.
Au programme, les « Trois sonnets de Pétrarque », la « Romance oubliée », et la « Bénédiction de Dieu dans la solitude » sont empruntés au répertoire de Liszt. Moins connu, le répertoire forcément moins étoffé de la prématurément disparue Lili Boulanger est représenté sur cet enregistrement par des morceaux choisis de ses compositions pour musique de chambre et pour piano, dont le poignant et très évocateur « D’un soir triste ».
La pianiste se taille ici assurément la part du lion, quoi de plus normal me direz-vous pour un album centré sur Liszt et Boulanger…
J’ai été un peu surpris dans la Bénédiction de constater un tempo aussi lent, et bien que cela ne soit pas incompatible avec la nature contemplative de cet extrait des Harmonies poétiques et religieuses. Mais il y a aussi une forme de sérénité, d’apaisement qui ne transparaît pas immédiatement dans le jeu de Marie-Laure Boulanger.
Peut-être ai-je trop en mémoire l’interprétation d’Alfred Brendel pour Decca qui se situe, en ce qui me concerne, au firmament du répertoire. Il y a chez Brendel une forme d’abandon et en même temps d’évidence qu’il est dur d’égaler pour un jeune pianiste. Mais la main droite est, dès les premières mesures, d’une telle lenteur que le rythme vient à manquer, au risque que l’auditeur décroche complètement. Et puis, comme si Marie-Laure Boulanger avait observé un temps de chauffe, le rythme reprend vers la cinquième minute, même si le tempo reste indéniablement lent. Mais cet élan s’essouffle à nouveau, comme si l’exigence physique de cette pièce longue était un trop lourd fardeau pour l’interprète.
J’ai pourtant écouté encore plus lent récemment avec la prestation de la pianiste croate Martina Filjak qui dépasse la barre des vingt minutes, mais dont l’influx rythmique reste intact tout au long de l’œuvre.
En revanche, les « Trois Sonnets de Pétrarque » 47, 104 et 123 (qui ont été en fait initialement composés par Liszt pour pour piano et voix) réservent une belle surprise. C’est d’ailleurs la pianiste de l’Ensemble Reflets qui a écrit l’arrangement pour soprano, piano, flûte et alto.
La soprano Magali Léger évite avec classe les écueils d’un trop grand épanchement et d’un trop grand détachement.
Il est crucial en effet de préserver cette sobriété expressive de la ligne mélodique et la richesse harmonique afin de recréer une atmosphère musicale contemplative, quasi mystique, tout en soulignant avec naturel les changements de climat. Force est de constater que cela fonctionne vraiment bien ici.
L’hommage à Lili Boulanger commence par deux pièces brèves pour piano (« D’un vieux Jardin » et « D’un Jardin Clair ») qui sont particulièrement bien exécutées par une Marie-Laure Boulanger inspirée. Il y a sans doute un peu trop de réverbération pour apprécier toute la richesse des accords de la main gauche à mon goût personnel. Mais le résultat global est plutôt agréable.
Les deux œuvres pour piano et flûte, (« Pièce en fa # » et « Nocturne ») ne témoignent peut-être pas suffisamment de la sensibilité de la jeune Lili, naviguant entre espoir et désespoir. C’est toujours assez délicat de savoir vers quelle direction aller quand on s’attaque au répertoire d’une artiste morte si jeune. Il y a une telle dose de subjectivité qui fait qu’on ne peut en tirer que des conclusions personnelles mais j’ai trouvé le flûtiste un peu trop droit, et quand bien même je n’aime pas les excès de pathos, un petit supplément d’âme aurait été à mon sens le bienvenu, et c’est dommage car le piano est vraiment bien exécuté.
Il y a davantage d’inspiration dans les deux dernières œuvres (« D’un matin de printemps » et « D’un soir triste »). Cet un joli final qu’on a peu l’occasion d’entendre alors que ces oeuvres sont magnifiquement ciselées et complémentaires, l’interprétation étant particulièrement convaincante. Alors on prend le large, s’éloignant des rivages lisztiens, dommage que le voyage s’arrête si tôt. Lili Boulanger avait encore tant à offrir…
- Titre: Visions poétiques – Franz Liszt / Lili Boulanger.
- Artistes: Ensemble Reflets.
- Format: PCM 16 bit, 44,1 kHz
- Ingénieur du son : Thomas Vingtrinier.
- Editeur/Label: Calliope.
- Année: 2020
- Genre: Classique.
- Intérêt du format HD : CD uniquement.