Après le répertoire de Boccherini, Ophélie Gaillard et le Pulcinella Orchestra consacrent un nouveau double album à Antonio Vivaldi.
C’est vrai qu’il y a de quoi faire pour le violoncelle chez le Vénitien et notamment dans les concerti (28 au total pour le violoncelle seul). On notera d’ailleurs la reconstruction inédite par Olivier Fourés du Concerto RV788 « per Teresa », qui fait partie des deux derniers incomplets (respectivement 787 et 788).
Au delà de la forme concertante, quelques apparitions de chanteuses comme la mezzo-soprano Lucile Richardot (Sovvente il sole, Andromeda liberata – Acte 2, scène 5) et la contralto Delphine Galou (Di verde ulivo, Tito Manlio – Acte 1) dans des airs d’opéra rarement interprétés (même si le dernier l’a été récemment par le couple Cécilia Bartoli / Sol Gabetta) ponctuent agréablement ce programme instrumental.
Premier de cette longue liste, le concerto en sol mineur RV. 416 démarre en trombe dans une acoustique de salle semi-réverbérante, sans doute la part d’ombre prend le pas sur la lumière…
En comparaison, les versions récentes comme celles de Jean-Guihen Queyras ou de Sol Gabetta sont plus posées, moins fougueuses certes mais plus harmonieuses et chatoyantes. C’est un peu le reproche qu’on peut faire à ce double album, celui d’avoir une prise de son favorisant davantage l’ambiance que la clarté.
Est-ce pour autant un parti pris ? Celui d’instaurer un carnaval de couleurs, entre ombres et clair obscur ? Il semble que cela soit effectivement le cas, celui de faire référence aux aspects sombres du 18ème siècle et de la culture vénitienne, l’utilisation du sfumato, des fonds noirs, des trompe-l’œil… et de l’emploi généralisé des instruments graves en musique.
Cela fait bien évidemment sens, et ce choix esthétique détonne néanmoins avec la grande majorité de la discographie relative aux concerti pour violoncelle de Vivaldi.
Le violoncelle d’origine vénitienne Francesco Goffriller, le fameux « kidnappé », donne le La, celui de la tonalité basse et chaude de la musique de Vivaldi.
Mais c’est aussi la nervosité et la fougue de la belle Ophélie et, par contagion, celles du Pulcinella Orchestra, qui constituent l’ADN de cet album.
Un superbe concerto RV531 pour deux violoncelles (dont celui d’Atsushi Sakaï) nous plonge dans un rythme bien plus soutenu que toutes les références discographiques que j’ai pu conserver en mémoire. Même l’Europa Galante de Fabio Biondi semble bien mollassonne en comparaison.
Et puis ce Largo sonne divinement bien : quelle densité, quelle éloquence ! C’est peut-être un des passages les plus émouvants parmi les nombreuses surprises que nous réserve cet enregistrement. Il y a une force toute particulière qui se dégage de ce concerto, qui m’évoque presque une toile de Caravage, excusez-moi pour l’anachronisme…
Le concerto RV409 pour violoncelle et basson offre à nouveau des couleurs ocres splendides.
La symphonie pour cordes et basse continue RV112 est en quelque sorte un bel interlude, offrant un superbe équilibre, tel un rayon de lumière traversant la pénombre.
Ce passage où la musique respire davantage, où l’atmosphère se détend, est presque salutaire avant l’attaque du quadruple concerto RV575 qui nous refait basculer dans une densité organique et une confrontation rageuse entre les deux violons et violoncelles, ponctuée il est vrai par un second mouvement lent où les solistes s’inspirent de l’ornementation double esquissée sur le manuscrit du concerto pour deux violons RV507.
Le concerto en si mineur RV424 a remporté ma préférence. Cette œuvre tardive représente presque à elle seule une synthèse des différentes facettes de la personnalité du compositeur. Tout y est grâce et harmonie, on touche une forme de maturité. Le jeu d’Ophélie Gaillard est totalement envoûtant et fusionne parfaitement avec le reste de l’orchestre.
C’est au final une production très ambitieuse qui nous est présentée dans ce double album, tant sur le plan artistique que technique. L’audiophile pinailleur que je suis pourra penser que les ambitions esthétiques auraient mérité un travail de prise de son et de post production encore plus sophistiqué (et malgré tout le respect que j’ai pour le studio Little Tribeca). En effet, les passages instrumentaux chargés tendent parfois à saturer. C’est néanmoins un simple constat, mais le défi technique de coller aux choix esthétiques de la directrice musicale, tout en conservant la plus grande lisibilité, est tout sauf facile. Comme il est coutume de dire, la critique est facile, l’art est difficile. Ce programme et la quantité de travail qu’il a fallu pour le concrétiser n’en sont pas moins impressionnants !
- Titre: Vivaldi, I colori dell’ombra
- Artistes: Ophélie Gaillard (violoncelle), Pulcinella Orchestra
- Format: PCM 16 bit, 44,1 kHz
- Ingénieur du son : Nicolas Bartholomée
- Editeur/Label: Aparté
- Année: 2020
- Genre: Classique
- Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Format CD uniquement.