AM

Editorial décembre 2023


Plaisirs matériels

Cela faisait un bail que je n’avais pas testé un transport CD.

L’utilisation de la musique dématérialisée tend à supplanter les vieux supports, ceux qu’on pouvait toucher du doigt et qui proposaient finalement une écoute globale, sans être reliée à un écran vous indiquant en permanence où vous en êtes, et vous suggérant de zapper vers nombreux artistes ou genres musicaux similaires, sans même attendre d’avoir fini d’écouter ce qui est en cours de lecture.

Le retour au compact disc permet ainsi de figer un cadre temporel, ou plutôt de laisser s’écouler le temps normalement.

C’est en quelque sorte une forme de relaxation ultime. Même le vinyle nous imposait finalement une séparation temporelle avec ses faces A et B, ainsi que ses craquements qui représentaient autant de micro-interruptions de l’écoulement de la musique. Le temps ne s’écoulait par ailleurs pas linéairement puisque le pleurage tendait à courber la musique lorsque le bras de lecture de la platine arrivait en fin de course.

Les lecteurs CD ont alors constitué une avancée dans ce sens où ils permettaient de ne plus ponctuer l’écoute de la musique par toutes ces interruptions imposées par le média et l’appareil qui permettait de les lire.

Avec ce retour momentané au lecteur CD, j’ai retrouvé cette concentration naturelle, cette attention de l’écoute qui n’est ni ponctuée ni distraite par quelque élément perturbateur. Autre madeleine de Proust : celle qui consiste à extraire un disque d’une étagère, choix effectué presque à l’aveugle puisque la tranche du boîtier du compact disc n’est guère plus épaisse et informative que celle d’un disque vinyle.

On se dit alors « tiens, il y a très longtemps que je n’ai pas écouté cet album ». Le plaisir de la redécouverte de ce CD, de l’écouter sur un appareil plus performant vous permettant de distinguer certains petits détails, certaines nuances que vous n’aviez jamais perçues jusqu’alors, ou que vous aviez tout simplement oubliées : ce sont là des instants particulièrement grisants.

Et bien que Roon ou votre plateforme de streaming préférée vous permette en permanence d’explorer tant de musiques, nouvelles et anciennes, ce n’est pas la même expérience cognitive ou sensorielle que celle de dénicher dans un meuble un objet qu’on avait oublié depuis tellement de temps qu’on pensait ne plus l’avoir, cet objet qui vous remémore des émotions d’écoute d’un temps éloigné. C’est en considération de toutes ces qualités que je pense que le lecteur CD reste d’actualité, malgré la globalisation du streaming et le regain de popularité du vinyle.

C’est d’ailleurs pour cela que j’ai conservé mon lecteur SACD Esoteric jusqu’à présent, et gardé tous mes compact discs en dépit du fait que j’ai dématérialisé toutes ma collection de disques depuis bien longtemps.

Le compact disc nous rattache par ailleurs au réel, au travail de production et de réalisation de disques, au réseau toujours plus étroit des disquaires à qui on peut demander conseil, au message que souhaite transmettre les artistes au travers du livret accompagnant le disque, mais aussi à une démarche artistique globale et non pas une perspective morcelée ou un simple extrait d’une playlist.

Bref, ce compact disc parfois tant décrié nous fait aussi sentir plus humains.

Joël Chevassus