Le chaos, c’est l’absence de structure, la désorganisation la plus complète.
Depuis Mahler, la perte de repères, les changements de direction incessants, la déstructuration de la musique peut éventuellement faire penser à cela.
Aussi, à quoi renvoie précisément la notion de chaos lorsqu’on se penche sur la musique de chambre de Haydn, Ligeti et de Fanny Mendelssohn ?
Le quatuor à cordes opus 20.5 de Joseph Haydn en fa mineur est le cinquième d’une série de six. Il est le reflet des tourments agitant le compositeur en 1772, ainsi qu’une forme d’écho de l’effervescence philosophique de cette fin de 18ème siècle.
Alors, « chaos » ou « auberge espagnole » ? J’ai l’impression que ce quatuor est en fait davantage un patchwork stylistique qu’une véritable référence à une quelconque réalité chaotique.
Le final et ses deux fugues en sont une parfaite illustration, clôturant une œuvre relativement déséquilibrée mais trouvant pourtant ses repères dans les différents courants stylistiques en vogue.
Le Chaos String Quartet fait usage d’une accentuation marquée, propre à souligner ces différents changements stylistique.
Les interprètes apportent à cette œuvre une urgence toute particulière, qui permet de l’aborder en comprenant mieux l’audace et la dimension dramatique qui la caractérisent.
C’est une lecture inhabituelle. Je ne saurais dire si elle est forcée ou surjouée, mais elle est en tous cas totalement captivante.
Je dois reconnaître que ce premier mouvement moderato m’a vraiment tenu en haleine tout au long de ces 11 minutes et trente-quatre secondes (ce qui est par ailleurs un tempo plutôt lent).
Le premier quatuor des « Métamorphoses nocturnes » de Ligeti est de toute évidence une évocation plus concrète du chaos. Le contraste avec le quatuor de Haydn est total.
Mais dans un second temps, on pourrait y trouver une forme de continuité, celle du patchwork stylistique.
En effet, cette composition totalement disruptive fait se succéder, voire s’enchevêtrer, différents styles comme les chants et litanies du folklore hongrois, la valse, les pizzicati et les glissandi de l’univers de Bartok, et bien évidemment de nombreux clins éléments de la musique sérielle et contemporaine.
Tout ça rentre dans un kaléidoscope sonore sans ordre logique particulier.
La tonalité de l’œuvre est dans cette version plus sombre, un peu moins hypnotique ou obsédante que l’enregistrement du Quatuor Artemis chez Erato, pour ne citer que cette autre interprétation.
Le violoncelle impose ici sa tonalité en instaurant une atmosphère plus pesante, plus angoissante, certainement plus dramatique.
Le jeu des quatre musiciens est aussi plus fondu, moins aérien, plus massif.
Est-ce là une expression du chaos ou une volonté d’échapper à toute lecture plus ou moins académique d’une œuvre qui ne l’est sans doute pas vraiment… ?
Cet album se termine avec le seul quatuor à cordes jamais composé par Fanny Mendelssohn, le quatuor en mi bémol majeur H277.
Comme avec le quatuor d’Haydn, les interprètes mettent l’emphase sur les débordements, les changements de ton, à l’instar de cette romance qui passe de la guimauve au drame en l’espace de quelques mesures, ou de cet allegro final qui s’apparente à certains moments à une danse folle.
Il y a énormément d’énergie, de lâcher prise dans cette interprétation, c’est un fait indéniable, et le Chaos String Quartet nous emmène vers des horizons instables et changeants.
À nous alors de lâcher prise !
- Titre : Chaos String Quartet : Haydn – Ligeti – Hensel.
- Artistes : Chaos String Quartet.
- Format: PCM 24 bit – 96 kHz.
- Ingénieur du son: Benedikt RoB.
- Editeur/Label: Solo Musica.
- Année: 2024
- Genre: Classique.
- Intérêt du format HD (Exceptionnel, Réel, Discutable): Discutable.