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Éditorial Mars 2022

Avec le temps, on finit par emprunter plus fréquemment des raccourcis. Les connexions se font d’ailleurs dans votre tête sans que vous en ayez toujours la pleine conscience. Et ce n’est pas simple alors d’afficher une opinion tout en donnant l’impression au lecteur qu’elle est pleinement argumentée. D’autant plus que l’âge nous rend moins sensible à ce que peuvent penser les autres personnes à propos de nos écrits, et que le statut d’expert, dont on peut éventuellement m’affubler, n’a en ce qui me concerne strictement aucune valeur marchande, ni aucune valeur existentielle. Par ailleurs, l’expérience accumulée au fil des ans apporte une certaine humilité, contrebalancée il est vrai par une sorte d’intolérance croissante à tout ce qui échappe au bon sens. Bref, ces quelques considérations éminemment personnelles vous sont livrées ici pour clarifier certains points qu’on pourrait considérer comme des manques ou des faiblesses des articles d’Audiophile Magazine.

Premièrement, je mentionnerais l’absence de références à un contexte bien précis. Je donne rarement la liste exhaustive des équipements utilisés lors d’un test. Oubli ou négligence ? Pas forcément. Je considère en fait que donner des éclairages contextuels très précis sur le déroulement d’un test réalisé sur une période relativement longue est plus à même d’induire nos lecteurs en erreur que de les guider. Qui a suffisamment testé et joué avec des maillons divers et variés dans son système hi-fi sait pertinemment qu’il suffit de peu de chose pour inverser ou faire varier sensiblement le résultat d’une écoute. On pense donc reproduire exactement le système audio tant vanté par un journaliste et on oublie le câble ou les réglages du DSP du lecteur réseau… Je pense donc que la meilleure indication à donner est une impression générale qu’on est arrivé à se construire dans divers cas de figures et différentes associations de matériel. Aller au delà en termes de détails contextuels me semble totalement contreproductif. Cela demande néanmoins beaucoup plus d’efforts d’investigation et d’écoute de cerner les caractéristiques intrinsèques d’un produit (indépendamment du reste du système audio) que de faire une description précise d’un cas de figure isolé.

Deuxièmement, je ferais allusion à la non prolifération des références discographiques. Là aussi, il en faut, car le lecteur attend généralement un repère qui puisse le guider par rapport à sa propre expérience d’écoute. Mais est-ce vraiment utile ? Pas forcément, car les références musicales sont d’une part tellement nombreuses qu’il est illusoire de penser que celles choisies dans le cadre d’un banc d’essai parlent au plus grand nombre. D’autre part, dans de nombreux cas de figure et durant diverses confrontations de différents équipements, on percevra des différences à l’écoute d’un enregistrement donné. En quoi donc les différences relevées dans le cadre d’un banc d’essai caractériseraient le niveau de performance intrinsèque d’un matériel ? Difficile à dire…

En troisième point, j’ajouterais le manque de mesures. Cela peut m’arriver d’en publier, spécialement si je n’en ai pas trouvées de disponibles ailleurs, ou dans le cas d’un doute à propos d’un défaut d’un équipement qui apparaîtrait à l’écoute et que j’aurais besoin de confirmer par la mesure. Mais au delà de ce cas particulier, il y a tellement d’aspects requérant un équipement pointu et onéreux, dont je ne dispose pas, et qui n’est clairement pas compatible avec la gratuité du magazine, qu’il m’est impossible de garantir une donnée objectivement fiable. Par ailleurs, la subjectivité d’autres mesures plus faciles à mettre en œuvre enlève beaucoup d’intérêt à l’exercice. Et rappelons néanmoins que l’objectif visé consiste à établir une relation entre perception d’écoute et données mesurées. C’est là que réside l’intérêt des mesures : corroborer une impression ou lever un doute. Mais le seul fait de passer suffisamment de temps avec un appareil en faisant varier les autres maillons auxquels il est associé permet sans doute déjà d’approcher le potentiel de celui-ci, et de valoriser plus facilement une performance reproductible dans divers environnements.

Enfin, nous pouvons aussi parler du manque de protocole précis ou d’analyse d’écoute structurée. Il y a en effet certains magazines spécialisés qui notent de façon très détaillée et systématique les différentes caractéristiques sonores d’un appareil, décortiquant même la bande passante : qualité du grave, des médiums et des aigus. Mais aussi spatialisation, focalisation, dynamique, distorsion, etc… Très franchement, soit les personnes qui arrivent à un tel niveau de dissection ont des capacités d’analyse sensorielle hors du commun, soit elles racontent n’importe quoi pour se conformer à un schéma établi, et qui peut permettre d’arriver à un résultat exhaustif en un temps minimum imparti, même s’il ne veut rien dire. J’aurais tendance à pencher personnellement pour la seconde hypothèse. Et je considère ainsi que de partager des impressions en vrac mais basées sur une écoute de plusieurs semaines, voire plusieurs mois, est une meilleure approche, plus sincère, que celle du chroniqueur qui va faire un effort d’analyse sur un temps très court des performances détaillées d’un appareil. Quitte à se livrer à cet exercice de dissection qui n’appelle d’ailleurs aucune comparaison directe par rapport à d’autres appareils concurrents (les considérations sont généralement faites dans l’absolu, histoire de ne vexer personne), autant publier une mesure de la réponse en fréquences, cela serait certainement plus instructif ! 

Voilà donc quelques explications à propos de ce que vous trouvez et ne trouvez pas à la lecture d’Audiophile Magazine. Est-ce un bien ou un mal ? Difficile de s’auto-critiquer ou de se congratuler soi-même. Mais en tout cas, cela correspond à une conviction et à une ligne éditoriale qui nous appartient. Et cela n’empêche pas pour autant d’essayer de se remettre en question, de s’améliorer et d’être ouverts à la critique.

Joël Chevassus

4 réflexions au sujet de “Éditorial Mars 2022”

  1. Bonjour avec votre nouveau blog on ne retrouve plus les anciens test des Lawrence Audio (Double Bass, etc…) Merci d’avance

    • Bonjour, c’est tout à fait normal puisque le support a changé.
      Vous avez en revanche les tests récents des enceintes Lawrence Audio : Harps et Penguins.
      Cordialement.

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